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en même temps que l’autre, sous son action. La pression de l’air lança le lieutenant à quelques mètres plus loin, et il reçut dans le dos plusieurs éclats. Ses pionniers se jetèrent en avant dans le couloir, arrivèrent jusqu’à un croisement, mais furent alors reçus par deux mitrailleuses placées à angle droit environ à dix pas en arrière, si bien qu’il devint impossible de pousser plus loin. Il fallut patienter toute la nuit. Il y avait désormais deux commandans du fort de Vaux, un commandant français sous terre, et, au-dessus de lui, un commandant allemand. Les Français ne pouvaient nulle part sortir la tête sans recevoir aussitôt des balles ou des grenades ; et les Allemands, provisoirement, ne pouvaient avancer. Une horrible odeur émanait de toutes les fissures ouvertes au plafond des casemates. Les cadavres de Français morts dans les combats précédens gisaient encore là-dessous ; on ne pouvait ni les tirer au dehors, ni les ensevelir dans le roc épais et dur. Au cours de la nuit, une douzaine de Français essayèrent de se frayer une issue. Ils furent en partie tués, en partie faits prisonniers par les postes déjà installes au Sud-Ouest du fort.

« Le 3 juin, à cinq heures, un aviateur français vola au-dessus de l’ouvrage pour reconnaître exactement la situation. Il descendit très bas, peut-être à cent mètres, pour mieux voir, mais il volait avec de tels zigzags et si, vite que la partie sensible, le cœur de l’avion, ne put être atteinte dans ces quelques secondes. Il échappa : et dix minutes plus tard, un effroyable feu d’obus s’abattit sur les tranchées de la gorge que nous occupions, en sorte qu’il fallut au plus vite se réfugier dans les casemates conquises.

« Aujourd’hui 4 juin, voici le quatrième jour que le fort est partagé entre les deux partis ; les Français sont à rintérieur comme des prisonniers rebelles, qui se défendent contre leurs surveillans. C’est une situation qui jamais, dans la guerre de forteresse, ne s’était à ce point prolongée.

« La conduite de la garnison française est admirable ; mais encore plus admirable est l’héroïsme des compagnies allemandes qui, jour et nuit, sans un moment de sommeil, sans une goutte d’eau, presque sans nourriture, résistent au feu le plus terrible, et ne lâcheront pas prise jusqu’à ce que le dernier coin des souterrains de Vaux soit en notre possession.

« KURT VON REDEN. »