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n’y en a qu’une qui soit carrossable, — et qui justement se rattachent à Argyrocastro pour conduire de là par Tepeleni à Valona, d’une part, d’autre part, à la baie de Butrinto et à Janina, enfin vers la Macédoine, par Koritza et le lac de Prespa ; l’ensemble de ces mesures bien combinées va concourir utilement à nous éclairer et nous garantir. Elles prouvent, par surcroît, que le Trentin, la Carnie et l’Isonzo n’absorbent pas toute la puissance, ni toute l’activité de nos voisins. Que des troupes royales aient posé le pied et planté leurs tentes en Épire, c’est l’aspect italien de l’opération. Mais elle a en même temps un aspect européen, qui est que, la jonction une fois faite par le lac de Prespa, sur l’autre rive duquel nous sommes établis, le front de Macédoine, lui aussi, s’appuiera à la mer, et qu’il n’y a, ura plus d’hiatus entre nos deux bases de Corfou et de Salonique. L’arc des alliés sera tendu de l’Adriatique à l’Egée.

Dans le grand bouleversement de l’Europe, il ne faut pas, — comme on y serait peut-être enclin, ne fût-ce que pour avoir une occasion de sourire, — faire à la Grèce plus de place qu’il ne lui en revient. Il ne faut pas que l’intermède détourne de la tragédie qui se poursuit et se déroule, implacable. La chronique du 1er octobre donnait des débuts de cet épisode une analyse fidèle. Elle n’était pas encore « tirée, » que nous apprenions et que nous signalons d’un mot le départ de M. Venizelos, qui venait de quitter Athènes, accompagné du chef le plus populaire de la marine hellénique, longtemps en faveur près du Roi, l’amiral Coundouriotis. Nous ne connaissions pas alors les circonstances de ce départ, qui furent amusantes, et dont la moins pittoresque n’est pas qu’il se serait organisé et exécuté, au milieu d’un souper joyeux, dans un cabaret de nuit du vieux Phalère, à l’enseigne de Platon. Nous ne savions pas davantage vers quelle destination ni dans quelle intention M. Venizelos était parti. Les uns indiquaient Salonique, les autres la Crète. A dire le vrai, l’appareil même dont l’éminent homme d’État avait entouré son départ était le signe qu’il ne se déplaçait pas tout simplement pour une villégiature, comme il avait jugé prudent de le faire plusieurs fois depuis deux ans dans les conjonctures difficiles.

C’est la Crète qu’il avait choisie, et ce choix aussi était un indice. La Crète, terre natale de M. Venizelos, est une terre de révolution, et les origines personnelles de M. Venizelos lui-même sont des origines révolutionnaires. Était-ce donc en révolutionnaire que l’ancien président du Conseil rentrait dans son île, acclamé tout le long du chemin, de la Sude à la Canée ? Il en repoussait à l’avance l’accusation, par