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durant les années qui suivent et il est juste de reconnaître qu’elle ne variera pas dans son but. Ce but se résume en peu de mots : se dégager dans un temps plus ou moins long de la tutelle de l’Europe : « Nous ne méritons pas d’y être maintenus indéfiniment, car nous ne songeons qu’à vivre dans la paix, qu’à nous consacrer au travail et qu’à conquérir l’appui des gouvernemens étrangers. »

Tels sont les propos qu’il ne cessera de répéter en leur imprimant chaque fois un peu plus d’énergie et que, lors de sa chute, ses successeurs, parlant au nom du prince Ferdinand, s’approprieront et opposeront aux influences qui se multiplient pour peser sur leurs résolutions.

« La Bulgarie entend vivre et vivre indépendante ; elle ne veut pas servir d’instrument à l’ambition de telle ou telle Puissance. Elle a ses ambitions, ses aspirations personnelles et n’admet pas qu’il soit question, sur son territoire, de prépondérance autrichienne ou russe. Ce que nous demandons, c’est que l’Europe se montre juste envers nous comme elle l’a été pour nos voisins et qu’elle nous reconnaisse le droit à la lumière et à l’existence, auquel tout peuple qui a conscience de lui-même peut prétendre et auquel nous prétendons. »

La politique de Stamboulol à l’extérieur tient dans ces paroles. S’il ne la pratiqua pas toujours avec une modération et un à-propos qui eussent accru son autorité, si trop souvent elle fut maladroite, brutale, créa entre lui et les Cabinets européens un malaise regrettable, c’est que les malheurs de son pays l’avaient rendu méfiant et soupçonneux. Même dans un conseil désintéressé, il inclinait à voir une tentative d’encerclement et de domination.


II

Quand il s’était emparé du pouvoir, il avait trouvé la Bulgarie dans un état de désorganisation tel que, pour l’en tirer, ce n’eût pas été trop du génie d’un Richelieu ou de l’implacable volonté d’un Cromwell. Mais il ne possédait ni la haute culture de l’un, ni sa connaissance de l’Europe, ni sa souplesse et pas davantage l’hypocrite habileté et l’esprit de ruse de l’autre. Fils d’un aubergiste et tour à tour tailleur, élève de séminaire, nihiliste avéré, agent de sociétés secrètes, dépourvu d’instruction et