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alliées. Ne serait-il pas intéressant de procéder à la même enquête pour l’armée ennemie, et de retracer le tableau de sa vie intérieure d’après les témoignages de ceux qui, à un degré quelconque, ont pris part à ses luttes ?


I

Jamais étude ne paraîtrait plus aisée, si l’on ne considérait que la quantité des ouvrages qui doivent en constituer les élémens. Il s’est formé, en Allemagne, depuis le début des hostilités, toute une « littérature de guerre » dont le catalogue, publié trimestriellement par une grande librairie de Leipzig[1], représente déjà la valeur d’un volume. Sur les milliers de numéros qu’il contient, les plus nombreux désignent sans doute des publications d’un caractère plus général que personnel : documens officiels ou statistiques, chroniques de guerre, études d’art militaire, cartes ou gravures ; mais c’est par centaines que l’on peut y compter les livres de souvenirs ou les recueils de lettres dans lesquels les combattans ont consigné leurs impressions.

Il suffit de jeter un coup d’œil sur les plus caractéristiques de ces ouvrages pour s’apercevoir que leur valeur est très inégale et que tous sont sujets à caution. Il ne faut pas oublier d’abord qu’aucun n’a été publié sans « l’autorisation du commandement militaire », dont fait foi le plus souvent la mention portée sur leur couverture : c’est assez dire leurs lacunes, dans un pays où la censure de guerre s’exerce avec une rigueur toute spéciale sur les nouvelles réputées dangereuses pour l’esprit public. Il ne faut donc pas s’attendre à y trouver la sincérité relative des ouvrages similaires sur la guerre de 1870, que nous avons analysés dans une précédente étude[2]. Il convient, d’autre part, de ne pas perdre de vue que l’Allemagne impériale, appliquant au domaine moral cet esprit d’organisation dont elle revendiquait la maîtrise et presque le monopole dans l’ordre matériel, a procédé à une véritable mobilisation de tous ceux qu’elle estimait capables de servir sa cause par la plume

  1. Die deutsche Kriegslitteratur, Catalogue trimestriel publié par la Hinrichsche Ruchkandlung, à Leipzig.
  2. Voyez la Revue du 15 septembre 1915.