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représentans attitrés de la caste militaire, officiers ou anciens officiers de l’armée active. En fait, ce serait aller au-devant d’une désillusion que de leur attribuer à l’avance une importance en rapport avec la situation de leurs auteurs. Tout d’abord ceux-ci, absorbés par une besogne plus urgente, n’ont été en mesure de retracer leurs impressions que lorsqu’une blessure inopportune a interrompu pour un temps leur activité guerrière. Hommes de métier, ils se montrent en général trop préoccupés du côté technique de la guerre pour en saisir le pittoresque extérieur ou la signification morale, trop rompus à l’obéissance passive pour discuter les ordres qu’ils reçoivent ou analyser les mobiles qui les font agir. Leurs souvenirs présentent donc un caractère d’impersonnalité d’autant plus marqué que leur grade est plus élevé. Tandis que ceux du général wurtembergeois de Moser ne dépassent pas la sèche précision d’un journal de route, ceux d’un officier saxon (anonyme) ou du capitaine d’artillerie Reinhardt sont déjà plus vivans ; si ceux de Gottberg se distinguent par leur liberté d’allures et leur abondance de détails, c’est sans doute que l’auteur, ayant quitté le service actif depuis une vingtaine d’années, se trouve de ce fait plus dégagé des servitudes professionnelles[1].

Quels qu’en soient l’origine et l’esprit, toutes les relations rédigées sous la forme de mémoires présentent cette faiblesse commune d’avoir été composées à loisir, à distance des événemens, avec les déformations forcées qu’entraînent le recul du temps et le désir de soutenir le moral du lecteur. Elles n’apporteraient donc à l’histoire morale de l’armée ennemie qu’une contribution bien insuffisante s’il n’était possible de les doubler et de les contrôler par une autre série de documens, plus directs, plus vivans et plus sincères, dont nous devons la connaissance a la manie bien allemande de tout imprimer. Les innombrables lettres écrites du front aux parens des combattans et insérées ensuite dans les journaux ont été réunies par des éditeurs avisés en une série de recueils aussi intéressans par leur variété que par leur contenu. Les uns, tels que les

  1. Von Moser, Kampf und Siegestage, 1914. Berlin, Mittler et Sohn. — Unser, Vormarsch bis zur Marne, aus dem Kriegstagebuch eines sächsischen Offiziers. Berlin, Mittler et Sohn. — Walther Reinhardt, Sechs Monale Westfront, Berlin. Mittler et Sohn. — Otto von Gotlherg, Als Adjulant dure à Frankreich und Helfjien. Berlin. Schert. — Was ich in mehr als 80 Schlachten und Gefechten erlebte. Berlin, Mittler et Sohn.