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Or, il y avait, dans le seul département de la Dordogne, plusieurs de ces garçons qui ne savaient pas goûter l’innocence du repos. De 1792 à l’an III, vingt-neuf représentans s’y trémoussèrent, sans compter Lakanal. C’est plus de politiciens qu’il n’en faut pour que règne, dans un pays qui n’en peut mais, la mauvaise intelligence. Chacun des commissaires a, sinon ses idées, au moins ses projets : et que de chamailleries ! Lakanal n’était pas commode. Un pamphlétaire de Bergerac le dit jaloux et malveillant, inaccessible à tout le monde ; et, si le peuple accueillait aimablement ses collègues, il était malheureux. Il eut maille à partir avec deux collègues principalement, Roux-Fazillac et Romme. Roux-Fazillac était arrivé dans la Dordogne plusieurs semaines avant Lakanal. Et il ne se déplaisait point à Périgueux ; car il écrit au Comité de Salut public : « Ce n’est pas l’amour du proconsulat qui me fait persister dans ma première opinion qu’un député montagnard dans chaque département, faisant marcher la révolution sous les ordres du Comité de Salut public, avancerait de plus de six mois la révolution. » Un député dans chaque département : un seul ; ces proconsuls sont trop nombreux et ils se gênent les uns les autres. Le 4 décembre 1793, Lakanal prend un arrêté qui impose de 450 000 livres les riches du département : c’est au profit de la manufacture d’armes qu’il a juré d’organiser à Bergerac. Mais Roux-Fazillac, qui a ses amis à Périgueux tout de même que Lakanal les siens à Bergerac, n’entend pas qu’on vienne lui taquiner ses riches, quand il est là pour les taquiner. Précisément, il s’occupe de ses riches : et il les a taxés. L’entreprise de Lakanal ne peut que nuire à celle de Roux-Fazillac. Celui-ci se fâche ; il s’oppose à l’exécution de l’arrêté qu’a pris Lakanal ; il monte aux gens de Périgueux la tête contre leurs frères de Bergerac. Il écrit au Comité de Salut public, dénonce l’initiative de son collègue. Le collègue part incontinent pour Paris ; et, les perfidies de Roux-Fazillac, les perfidies de Lakanal les déjoueront. Roux-Fazillac se méfie, annonce que la mésintelligence des deux collègues est peu de chose : un nuage ; et, le nuage dissipé, « il régnera entre lui et moi un concert désormais inaltérable. » Roux-Fazillac, néanmoins, se doute de ce qui l’attend : « Toujours prêt à me sacrifier moi-même au bien de la chose publique, je vous prierais de me rappeler aussitôt, si je voyais que nous, ne marchassions pas d’accord… » Lakanal était encore à Paris, sans maladresse, quand Roux-Fazillac fut chargé d’organiser le gouvernement révolutionnaire dans la Corrèze et le Puy-de-Dôme. Voilà notre Lakanal débarrassé d’un