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de la tactique dans cette lutte étrange. Heureusement les Alliés ont aujourd’hui contre les torpilles et les sous-marins allemands des moyens de défense qui se sont déjà montrés efficaces. Mais si ces moyens défensifs sont suffisans en l’état actuel, c’est uniquement parce que les Boches par bonheur n’avaient point au début de la guerre un nombre très grand de sous-marins et n’en peuvent point construire assez pour réparer à la fois leurs pertes et multiplier sensiblement le nombre de ceux qui subsistent.

L’amiral von Tirpitz, qui est aujourd’hui, mais un peu tard, l’apôtre bruyant du sous-marin torpilleur, n’a eu pendant toute sa carrière qu’un but : créer une flotte de haut bord qui batte de vive force les flottes ennemies. En 1902 encore, il raillait pesamment l’emploi éventuel des sous-marins dans une guerre navale. Son maître impérial a heureusement partagé son erreur, son dédain passé du sous-marin offensif ; et c’est peut-être ce qui, pour une large part, assurera la victoire finale de l’Entente. Si l’Empereur allemand avait su gouverner, c’est-à-dire prévoir, sa devise eût été : « Notre avenir est sous l’eau. » — Aujourd’hui il est trop tard.

L’emploi tactique du sous-marin et de la torpille pour la guerre ou pour un blocus ont été au contraire prévus de longue date par plusieurs techniciens français et anglais, par l’ingénieur Laubeuf, par la claire vision de l’amiral Fournier, par l’amiral sir Percy Scott qui dirige actuellement le service de défense contre aéronefs en Angleterre ; ce sont là quelques-unes des plus belles intelligences qui jamais aient mis la science et la pensée au service de la guerre.

Il y a, quoi qu’on en ait, une certaine mélancolie à penser que les armes et les méthodes les plus efficaces de nos ennemis dans la guerre navale sont des armes et des idées françaises. — Et ceci est vrai aussi de la guerre continentale : la poudre sans fumée, les explosifs nitrés stables des obus… d’autres progrès techniques récens, que nous préférons ne pas préciser, quoique nous les connaissions bien, fournissent aujourd’hui, aux Allemands qui ont su les cambrioler, puis les appliquer avec sagacité, des adjuvans matériels sur lesquels s’étaie l’infériorité de leur force d’âme, de leur nombre et de leur richesse. N’eût-il pas mieux valu que ces inventions françaises n’eussent jamais été faites ? Non, si nous savons les généraliser intelligemment jusqu’à dominer l’ennemi non seulement par le cœur, mais aussi par la technique et l’acier.


CHARLES NORDMANN.