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en noir, quelle que soit d’ailleurs leur couleur ; 2° lorsqu’ils sont très éloignés, à une distance où le fond du paysage, la terre, les végétaux, paraissent tous bleutés à cause de la diffusion de la lumière à travers une épaisse couche d’air. Car c’est en somme le même phénomène, la diffusion prépondérante des petites longueurs d’onde de la lumière sur les particules atmosphériques, qui produit le bleu du ciel et le bleu des « horizons » si connu de ceux qui savent peindre… et même de ceux qui savent regarder. Mais ce phénomène ne se produit qu’à une distance de plusieurs kilomètres ; c’est pourquoi il est tout naturel qu’on ait peint en gris bleu les canons de 75 qui sont toujours à une distance notable de la tranchée ennemie, et aussi la coque des cuirassés qui ne combattent que de très loin. En appliquant la même couleur à l’uniforme des fantassins qui sont tout à proximité de l’ennemi, on a peut-être commis une extrapolation un peu hardie d’une donnée juste.

La nature, heureusement, remet toujours les choses au point ; c’est elle qui, sans qu’aucun tailleur, aucun peintre, aucun intendant soit jamais intervenu, a donné au tigre la robe jaune rayée de noir qui se confond avec la jungle où l’ombre des tiges zèbre le sol ensoleillé ; c’est elle qui a donné au lion la couleur du sable du désert, au papillon la forme et la nuance des feuilles mortes où il s’immobilise pour échapper à l’ennemi. Le « camouflage » n’est pas une chose nouvelle ; la réaction naturelle des choses sur les êtres sanctionnée par la survivance du plus apte, c’est-à-dire, — comme à la guerre, — du plus invisible, l’a depuis longtemps réalisé dans le règne animal. Seulement, ce que nous appelons camouflage, les naturalistes l’appellent « mimétisme. » — Le camouflage n’est qu’un mimétisme que la force des choses impose aux guerriers humains et à leurs engins, comme aux animaux, dans la terrible lutte pour la vie.

Et c’est pourquoi, rectifiant même ce qu’il y a d’imparfait dans l’œuvre humaine, le frottement continuel de notre drap « bleu horizon » contre la terre et contre l’herbe finit par donner à ce bleu une nuance à la fois verdâtre et jaunâtre, la nuance précisément qu’il fallait. Tous ceux qui ont vu la tenue de nos soldats lorsqu’ils ont séjourné un temps dans les tranchées et l’ont comparée à l’idyllique bleu horizon qu’on admire dans les devantures des tailleurs et aux terrasses de certains