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retranchemens et abris de cette ligne elle-même avec leurs occupans, et aussi la séparer de ses réserves et de ses ravitaillemens par l’infranchissable rideau mortel et bruissant des tirs de barrage. Mais pour cela il faut une débauche énorme et prolongée, un torrent continu, un ruissellement inépuisable de projectiles, et c’est ainsi qu’est née la tactique nouvelle dont le symbole émouvant et vrai est le cri aujourd’hui célèbre : « Des canons, des munitions ! » dont M. Charles Humbert s’est fait, pour le bien de la patrie, l’éloquent héraut. Aujourd’hui, la tactique ne doit plus être qu’une technique.

Pour occuper en un ou plusieurs points la ligne ennemie, ce qui est le seul moyen de repousser l’Allemand, il fallait naguère sacrifier beaucoup d’hommes, car, des attaquans, une grande proportion, hélas ! tombait en route.

Il en a fallu moins lorsqu’on a compris que l’on ne devait attaquer qu’une ligne désorganisée ; il n’en faudra plus guère lorsque l’artillerie aura, — cela s’est déjà vu sur la Somme et tout récemment lorsque nous avons repris Douaumont et Vaux. — assez bouleversé et dépeuplé le terrain pour que l’assaillant puisse l’occuper sans coup férir, le fusil en bandoulière et la cigarette aux lèvres. — Il faut qu’on en arrive là bientôt et partout, il le faut, car le noble sang de France doit être économisé à tout prix, car il faut pour faire un obus quelques heures à peine, pour faire un canon quelques jours et quelque argent, tandis que pour faire un soldat français il faut vingt ans de tendres soins, d’affectueuses angoisses, de leçons et de peines… Que dis-je ! il a fallu des siècles de fine civilisation, de délicate patine cérébrale, de mœurs douces et de légère raison concentrées lentement dans nos trop rares familles. Qui oserait balancer quand il s’agit, pour conserver à la planète cette chose unique et charmante, de puiser dans les bourses et les usines, n’importe où ?

Le jour où, selon nos vœux, nous aurons assez d’engins pour que nos poilus n’avancent plus jamais que sur un terrain d’abord conquis par l’artillerie, ce jour-là certaines théories seront battues en brèche, mais on aura épargné le plus précieux des trésors humains. Il faut qu’on en arrive à ce jour où l’infanterie sera encore la reine des batailles…, mais une reine qui règne et ne gouverne pas.

Et quand viendra ce moment, les R. V. F. seront moins