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ce phénomène curieux et nouveau : l’évolution pour ainsi dire « sensible » de la guerre et son’ passage de l’ordre visuel dans l’ordre acoustique. Nous n’avons pas à rappeler ces pages brillantes qui sont restées présentes à toutes les mémoires[1] ;

Que d’esprits, que d’âmes musicales ont eu la joie de reconnaître, dans « le bruit de la bataille, » la ressemblance, pu la présence même de leur musique bien-aimée. Croyons-en le témoignage encore de ce jeune et charmant étranger, poète et musicien, qui nous aima jusqu’à combattre, à mourir pour nous avec les nôtres. Oui, c’est un musicien qui parle ainsi de la sonorité de notre 75 :

« Quelle arme que ce merveilleux petit canon ! De la tranchée où nous sommes, nous l’entendons claquer à peu près de deux kilomètres en arrière, et pourtant le coup semble tout proche. C’est un coup sec et métallique, dont la vibration, répercutée par les bois, sonne comme une corde de harpe. Il domine tout de sa voix brève et pénétrante… On ne peut se lasser de sa détonation. Elle remplace les clairons caducs. C’est la France elle-même, notre orgueil et notre égide. Le 75 est un témoignage du génie français de la même nature qu’une phrase de Flaubert, un vers de Baudelaire, une perspective <le Paris ou un passage de Franck. Il a la simplicité idéale, la finesse, la mesure, et la portée suprême[2]. »

Tout cela, pour nos soldats, c’est la musique de la mort. Mais pour eux aussi, par bonheur, il en existe une autre : musique du salut et de la vie, musique non plus terrible et meurtrière, mais bienfaisante et secourable. Celle-ci, comme l’autre, depuis plus de deux ans, leur a prodigué ses concerts. Ceux qu’a donnés le plus illustre de nos maîtres du piano resteront parmi les plus dignes du souvenir et de la reconnaissance nationale. On sait quelles offrandes magnifiques royales, versent incessamment dans notre trésor de guerre les mains harmonieuses de Francis Planté. Depuis trop longtemps on regrettait de ne plus le voir, ni l’entendre. Il vivait aux champs, au soleil, au sein d’une calme et noble retraite, toujours plus jeune avec l’âge, plus fidèle, et d’une fidélité plus

  1. Voyez, dans la Revue du 1er septembre 1916 : Le bruit de la bataille.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1916, l’article de Gérard d’Houville : Un poète soldat au « 1er Étranger : » Hernando de Bengoechea,