Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les messagers et les dispensateurs de cette joie en eurent le sentiment comme nous, mieux que nous. Et leur parole et leur chant en prit un accent encore plus noble que de coutume, une expression plus généreuse, une flamme plus pure et vraiment sacrée. Ils dirent, ils chantèrent surtout des choses héroïques, de celles-là que leurs auditeurs avaient vécues, pour lesquelles ils avaient pensé mourir. C’était Les deux épées, de la Fille de Rolandv et des fragmens de Patrie ! et les Deux grenadiers, et, naturellement, la Marseillaise. En écoutant M. Frantz, je me souvenais qu’il avait été Parsifal à l’Opéra., Des chœurs invisibles le saluaient alors avec les mots fameux : « Celui qui sait par la pitié, » paroles de tendresse et de miséricorde, que le poète-musicien d’Allemagne ne sut point enseigner à sa cruelle, à sa féroce patrie. Mais l’artiste de chez nous avait bien su les comprendre et, s’il chanta, ce jour-là, mieux que jamais peut-être, c’est que la pitié, « la grande pitié du royaume de France, » chaulait par sa voix.

Après le concert, un soldat nous dit cette parole profonde, et qui demeurera toujours chère à la mémoire d’un musicien : « C’est beau, ce qui parle. Mais ce qui chante ! Ce qui chante ! » Il avait raison. Encore plus que la poésie, la musique les enveloppe, les pénètre, jusqu’au fond, de sa mystérieuse influence. Dans leur âme à tous, le verbe, fût-ce le plus magnifique, ne va jamais aussi loin que le son. Toujours et partout, dans la tranchée, sous la mitraille, il leur faut « ce qui chante. » La musique est la plus vive, la plus pure de leurs joies.

A Nieuport, une nuit, un officier, parti en reconnaissance, fouillait les ruines encore fumantes. « Dans une cour particulièrement abîmée, écrit-il, j’entends qu’une main un peu hésitante joue sur un piano, ma foi ! presque bien, une de ces vieilles valses dont les dragons raffolent… Pas de lumière, une maison béante… Il y a quelque chose de fantomatique dans ces trous d’ombre où l’œil ne distingue que du noir, et d’où sort une ritournelle canaille et triste.

« Au bout d’un long moment, pendant lequel j’ai erré dans tous les sens, j’ai trouvé la clef de l’énigme, en apercevant à mes pieds un trait de lumière… Au bas d’une dizaine de marches, ou plutôt d’une pente vertigineuse… je n’ai eu qu’à écarter un rideau de toile, pourvoir ce qui se passait à l’intérieur, et j’ai été saisi par ce tableau jusqu’au cœur :