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« Une dizaine d’hommes, couchés sur des paillasses, écoutaient le musicien assis sur une barrique, et jouant de ses gros doigts malhabiles la même valse, probablement le seul morceau qu’il sût ; dans le regard de chacun de ces hommes, il y avait quelque chose d’analogue à la griserie de l’opium ou à la fascination d’un sujet par un médium tout-puissant. En haut, les obus recommençaient à tomber ; en bas, ils avaient oublié la guerre, parce qu’ils avaient entendu trois notes et que la musique est toute-puissante sur les cœurs simples[1]. »

Mainte fois, nous avons reçu — « du front » — les témoignages de sa toute-puissance : des lettres, des programmes, des photographies même. A l’ombre d’un bouquet d’arbres, au bord d’une mare, un petit orchestre de soldats est réuni. Le chef, monté sur des tréteaux, bat la mesure. Autour des exécutans, les « copains » sont assis. Des chevaux, là-bas, ont levé la tête et semblent eux-mêmes écouler. C’est un concert donné le 21 mai dernier à la ferme de L… S… près M… en Champagne. Dès le 1er novembre 1914, le…ème régiment donnait, à S-S., son premier « concert en grange. » Le programme — illustré — du 49e concert est sous nos yeux. Concert vocal et symphonique ; à l’orchestre, des artistes de la Société des Concerts du Conservatoire et des Concerts Lamoureux, des professeurs de nos Conservatoires de province ; comme solistes, un chanteur de Lyon, un autre de Nancy ; au piano d’accompagnement, un sapeur… du Conservatoire de Toulouse. Pour commencer, l’ouverture de Phèdre, de Massenet ; pour finir, la « Marche du concert en grange. »

Un jeune ténor du Midi nous écrit : « Nous sommes toujours au danger, mais heureux de servir. Cela ne m’empêche pas de travailler ma voix de temps en temps et d’en faire un cadeau de distraction aux amis et poilus de connaissance. » (4 juin 1910.)

Du 8 octobre 1915 :

« Nous avons réussi, avec mes amis, à monter quelques œuvres musicales que nous exécutons le dimanche à l’église. Tous les sujets sont religieux…

« D’abord nous avons trouvé, dans un couvent d’A… où seule reste une bonne sœur, un magnifique harmonium. L’emballer

  1. Étapes et combats. — Souvenirs d’un cavalier devenu fantassin, 1914-1915, par Christian Mallet ; Librairie Plon.