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Toujours est-il qu’après avoir éprouvé, tout à l’heure, « un terrible besoin de casser la tête aux Allemands, » M. Britling est bientôt presque tenté de les excuser. Et ceci même, — pour nous sembler d’autant plus étrange que nous l’entendons énoncé par notre personnage auprès des restes mutilés d’une vieille parente qui vient d’être tuée par un zeppelin, — ceci même n’en constitue pas moins l’une des étapes décisives de sa « conversion. » Guéri précédemment de son « pacifisme, » et de maints autres « ismes » dont il était imbu, M. Britling s’affranchit, maintenant, des fâcheuses tendances que risquait d’avoir provoquées en lui la contagion « nietzschéenne. »


« Même ce lâche et abominable vaisseau aérien n’était, au demeurant, qu’un vaisseau d’insensés ! Nous tous, avec notre civilisation, nous ne sommes encore que de pauvres sots. Des singes s’agitant à vide, et prompts à nous irriter follement de notre agitation ! »

M. Britling en était là de sa rêverie, lorsqu’un courant de suggestion subconsciente lui amena brusquement dans l’esprit une très vieille parole depuis longtemps oubliée, une parole tout imprégnée de cette lumière qui cherche toujours mystérieusement à pénétrer les épaisses ténèbres de la pensée humaine.

Et le voici qui se mit à murmurer ces mots de jadis ; et certes, il fallait que ces mots lui fussent demeurés secrètement familiers, pour avoir de quoi lui causer un tel effet de réconfort, à la fois, et de conviction !

Il les murmura en songeant à ces hommes qu’il se figurait encore en train de voler rapidement vers l’Est, en songeant à ces navigateurs et ingénieurs allemands qui venaient de laisser derrière soi tant de souffrance et de mort, dans la petite ville.

Mon père, — murmura-t-il. — pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font !


Et c’est enfin la grande catastrophe du roman, — et de la vie tout entière de M. Britling, — la catastrophe qui conduit le héros de M. Wells à s’écrier, comme je l’ai dit déjà : « Nos jeunes fils, ce sont eux qui nous ont appris Dieu ! » Je regrette seulement que le romancier n’ait pas essayé de nous montrer de plus près et avec un peu plus de relief la charmante figure de ce Hugues Britling dont la mort héroïque allait être d’une influence décisive sur la « conversion » finale de son père. Tout au plus nous permet-il de comprendre que l’enrôlement volontaire du jeune homme n’avait rien eu d’un élan spontané et joyeux. Hugues Britling, au moment de la déclaration de guerre, hésitait entre l’étude des sciences et celle du dessin ; et lorsque son père ; en le voyant habillé en khaki, l’avait complimenté de son généreux « désir » d’être soldat :