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musique, trop de musique gaie ou trop de musique allemande. À ce reproche elle répond par une déclaration qui nous stupéfie. Chassée par l’invasion de sa ville natale, elle a vu fusiller ses parens, massacrer ses frères, elle a perdu tous les siens — et elle est gaie ! Je ne lui en fais pas mon compliment. Qui est-ce que peut bien symboliser cette Ginette ? Car il paraît qu’il y a du symbole dans la pièce. J’affirme que ce n’est pas la France. La France est courageuse, fière, résolue : elle n’est pas gaie. Elle a trop conscience que ses destinées sont en jeu. Elle sait trop combien de Français et de Françaises ont subi les plus dures épreuves. Elle a perdu trop de ses enfans. Elle estime que d’être gaie ce serait faire insulte à ses morts.

Le ménage Bellanger avait été jusqu’ici un excellent ménage, uni, fidèle. L’installation de Ginette au foyer conjugal va tout gâter. Allez donc faire le bien ! Bellanger, qui frise la cinquantaine, devient amoureux de cette jeunesse. Et comme Ginette n’a d’yeux que pour les combattans, Bellanger se souvient qu’il a jadis été officier et se fait réintégrer dans son grade. Pour plaire à cette Chimène, ce Rodrigue sur le retour va marcher à des combats dont il espère recevoir quelque jour le prix. Ainsi l’auteur a trouvé le moyen de rendre ridicule et pitoyable un des plus beaux traits de la France d’aujourd’hui. Rien n’est plus beau que le dévouement de ceux qui, malgré leur âge, quittent tout, leur famille, leur intérieur, leur travail, pour aller défendre leur patrie. Un seul amour les guide, auquel ils font généreusement le sacrifice tout entier : l’amour de la patrie. Ici, nous n’avons sous les yeux que la fantaisie sénile d’un vieillard amoureux.

Au moment où elles apprennent la résolution de Bellanger, c’est pour la femme et pour la fille de celui-ci un désespoir. Elles le supplient de ne pas partir. Elles embrassent ses genoux. Elles sont d’une lâcheté dégoûtante. Allons donc ! A quel pays, à quelle humanité appartiennent ces femmes-là ? Pas une Française ne se reconnaîtra en elles. Si poignante que puisse être son émotion, il n’est pas une Française qui |ne rougirait de supplier un mari ou un père de ne pas aller faire tout son devoir, plus que son devoir.

Au deuxième acte, l’auteur semble avoir pris à tâche de réunir, pour nous le mettre sous les yeux, tout ce qui peut déprimer le moral, dissoudre l’énergie. C’est d’abord l’énervante inquiétude des jours sans nouvelles. L’attente de chaque courrier chaque fois déçue, les démarches sans résultats, les vaines hypothèses, les versions