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sur-le-champ, et l’orgueil de son passé et les hardis espoirs de son avenir. Ne me disiez-vous pas, tout à l’heure, que l’impression la plus profonde qui vous restât de la lecture des Chevaliers de la Croix était d’y avoir en quelque sorte senti, à l’avant plan, l’âme vivante de la Pologne, se dressant au-dessus d’une foule variée de nobles et de manans polonais des premières années du XVe siècle ? Cette âme vivante de notre race, c’est elle qui, dès le début, s’est révélée à nous dans les trois romans « nationaux » d’Henri Sienkiewicz ; et à peine l’avons-nous aperçue et entendue, telle que la ressuscitait le génie d’un poète patriote, qu’aussitôt chacun de nous en a discerné le reflet et l’écho dans son propre cœur, si bien que, depuis ce moment, les moindres personnages de la Trilogie nous sont devenus pour le moins aussi proches que les membres les plus familiers de notre entourage de tous les jours, et non seulement nous ont rappelé que, durant des siècles, notre race avait librement lutté et vaincu, allié ou opposé sa puissance à celle des autres nations européennes, mais encore qu’elle avait conservé le désir et la force de renouveler son action séculaire à la face du monde !


Ai-je besoin de dire que, tout de suite après le départ de mon visiteur, je me suis plongé dans la Trilogie d’Henri Sienkiewicz ? Je l’ai dévorée d’un seul trait, en moins d’une semaine ; et je viens encore de la relire tous ces jours passés, en regrettant seulement que l’auteur ne nous eût pas donné d’autres récits des aventures de son Kmita et de son Zagloba. Il l’a bien essayé, vingt ans après l’achèvement de son Messire Wolodyowski : car j’ai l’idée qu’un roman qu’il a publié vers 1907, intitulé : Sur le Champ de gloire, — un roman dont l’intrigue s’ouvrait au lendemain même de cette victoire de Sobieski à Chocim qui formait l’épilogue du troisième morceau de la Trilogie, — avait été d’abord destiné à former le prologue d’un « cycle » nouveau de récits héroïques ayant pour objet de ressusciter devant nous la délivrance de Vienne et du monde chrétien par le même Sobieski, — cette espèce de glorieux « pendant » historique de l’ancien triomphe polonais de Grunewald. Mais probablement Sienkiewicz, en 1907, n’aura plus retrouvé dans ses veines la sève juvénile qui, jadis, lui avait permis de faire jaillir de son cœur, — et du sol natal, — les trois chants gigantesques de sa première épopée : de telle manière qu’il aura été contraint de s’arrêter presque dès le seuil de son nouveau projet, sans qu’il lui fût même possible de conduire jusque « sur le champ de gloire » le groupe,