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de réserve étant les plus nombreux, — de découvrir la personne originale, ancienne et véritable, celle qui, dans « le civil, » avant la métamorphose pour la guerre, apparaissait d’abord comme un individu distinct. Encore une fois, dans l’armée, on retrouvait la France et son infinie diversité. Tel capitaine, en qui l’on n’avait vu d’abord que l’arme et le grade, se révélait d’un métier et d’un monde tout voisins du vôtre. L’un nous parlait de son maître Boutmy et d’Anatole Leroy-Beaulieu ; un autre, du Canada, où il a créé une grande ferme et s’est même fait naturaliser ; mais à la première nouvelle de la guerre, il a rallié la France.

Parmi les hommes, une rencontre inattendue fut celle d’un ami de Basse-Bretagne, d’un pêcheur qui, je ne sais plus comment, avait passé des Fusiliers marins dans la Coloniale. Je ne l’aurais pas reconnu s’il ne m’avait fait signe. Le pauvre pêcheur d’avant la guerre, si timide alors, un peu sauvage, d’une sensibilité toute bretonne, avec cela malade, — incurablement, disaient les médecins à qui des amis l’avaient adressé… A la mobilisation, il était parti tout de même. Mais, au dépôt de Cherbourg, son mal, un ulcère à l’estomac, le terrassait à la première marche. Hôpital, opération, miraculeuse réussite. Trois mois de convalescence, et le voilà versé dans un corps qui partait pour l’Argonne. Je trouvai un homme rajeuni de vingt ans : un air de force et de calme, la figure jadis exsangue, maintenant pleine et colorée sous le hâle une allure d’aplomb et même de fierté qui contrastait avec ce que les yeux bleu de mer avaient conservé, malgré tout, d’enfantin et de sensible. Pendant que mes compagnons visitaient les dessous d’un fortin, nous causions ; je l’interrogeai sur sa croix de guerre. « Celui-là ? disait-il avec l’accent chantant et martelé de Tréguier, et modelant encore son français sur sa langue natale, celui-là, j’ai eu parce que je suis été de bonne volonté. Souvent qu’on en demande des hommes de bonne volonté pour aller couper du fil de fer devant les Boches ! Oh ! des coups comme ça, y a pas à faire tant de cas ; c’est pas si dangéreusse que vous croyez, surtout la nuit et en hiver par temps bouché ! Sûr, faut se couler comme le chat, à ras de terre… Faut pas se presser, c’est le principal. C’est comme pour aller sur le bout-dehors changer le foc par gros temps. Une fois seulement, j’ai trouvé long,