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le bas jusqu’à mi-côte, tout le long de la position française que les batteries boches ne peuvent atteindre. Grise forêt de décembre par en haut, où l’ennemi reçoit de plein fouet notre tir. C’est un des paradoxes de la guerre moderne que, sur une côte, l’avantage n’est pas toujours à celui qui domine, mais souvent à celui qui se bat en montant. Tout en bas, des prés d’un vert splendide, et qui tournent avec la vallée, avec les luisans d’une petite rivière, avec une route dont une grosse bâtisse à demi détruite marque le coude. Cette ruine, c’est le Four de Paris, un des lieux célèbres de cette guerre d’Argonne, comme la Fille-Morte, les bois de la Harazée, de la Grurie. A droite de la bâtisse, sur la route blanche qui par-là cesse d’être « défilée, » une tache obscure : un cheval mort, — celui d’un vaguemestre qu’une marmite allemande hier matin a broyé. Les débris de l’homme ont été recueillis ; le cheval reste là. Un peu plus loin, toujours du même côté, des traînées grises, comme de la terre retournée, évoquent un triste souvenir……..


La canonnade augmentait, tandis que le général, — si simple, placide, presque bourgeois, avec sa canne et sa houppelande bleue, — nous donnait très vite ces détails, et puis, pour ses observations personnelles, s’attardait longuement sur son dangereux belvédère. Ce jour-là, les 75 donnaient sans arrêt, sans doute pour empêcher les canons d’en face de s’en aller faire nombre devant Verdun. Depuis le matin, nous les entendions aboyer, de plus en plus bruyans, à mesure que nous approchions de la crête, — si près, enfin, que le coup vous secouait comme lorsque la foudre semble tomber et claquer à vingt pas. Une batterie tirait par-dessus nous, à quarante mètres en arrière, pendant que nous étions à ce balcon. Les Allemands, jusqu’à dix heures, n’avaient presque pas répondu, mais à la fin l’irritation venait, et les coups profonds commençaient à devenir fréquens au milieu des claires détonations françaises. Maintenant, au milieu de ces fracas, nous descendions vers la rivière. Raide et longue dégringolade par des tunnels, des couloirs obliques, en zigzags, et masqués toujours, du côté de l’ennemi, de feuillages ou de paillassons.

Quand nous atteignîmes les splendides prés verts, et puis la route au fond de la vallée, le duel était établi, continu. Sur la crête que nous venions de quitter, on entendait tomber les