Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tonides van der Linden, que son exécution précieuse et la date de la mort du modèle avaient fait placer chronologiquement, dans son œuvre, vers 1652. Il a fait l’objet d’une aventure des plus curieuses, qu’il est intéressant de rapporter.

À la fin de 1664, Rembrandt et son fils Titus, alors âgé de vingt-deux ans, avaient fait un petit héritage. Quelques centaines de florins revenaient au vieux peintre, qui envoya Titus à Leyde, pour prendre langue avec le notaire de la succession. Musant le long des quais, le nez aux éventaires, le jeune homme s’arrêta devant la boutique des frères Gaesbeck où il y avait quelques livres illustrés et des estampes nouvelles. Titus entra. Les librairies discutaient à haute voix, avec le fils d’Antonides van der Linden, les conditions d’une réimpression des œuvres du Docteur. L’un d’eux demanda au jeune homme s’il ne connaîtrait pas un graveur capable d’exécuter, en peu de jours, un portrait, au burin, pour le frontispice de cette édition nouvelle, dans le goût d’une gravure de Pieter Holsteyn, décorant l’édition princeps.

— Mais oui, mon père ! repartit Titus.

— Certes ! nous savons que Rembrandt est un illustre maître de l’eau-forte, se récrièrent les marchands. Mais a-t-il jamais gravé au burin ? et serait-il vraiment capable de faire une planche semblable au modèle ? Le jeune artiste examina l’estampe, déclara qu’elle était détestable et ajouta que bien certainement son père ferait, en se jouant, beaucoup mieux. Il assura que Rembrandt gravait fréquemment au burin, et qu’il avait achevé, depuis peu, une bonne femme avec une pappotgen, exécutée avec cet instrument classique.

Quelques critiques ont voulu reconnaître ce sujet dans la planche, inachevée, du Dessinateur devant le modèle. Mais il y a tout lieu de croire qu’il s’agissait, pour Titus, de la pièce dite la Femme devant le poêle, qui représente une ménagère appuyée sur une « pappotgen, » pleine de linge qu’elle a commencé de laver, et qui se repose un instant de son labeur, dans un sous-sol surchauffé par un poêle. Aussi s’est-elle mise à l’aise en faisant tomber sa chemise ; ce qui nous permet d’admirer un torse que Rembrandt a gravé tout entier au burin.

Titus se faisant fort de traiter pour son père, les libraires lui confièrent la commande de ce petit portrait, qui devait leur être livré dans la première quinzaine de janvier 1665 et lui