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remirent, à titre documentaire, un portrait peint par A. van Tampel. Titus revint au Rosengracht à Amsterdam, pour fêter la Noël en famille et Rembrandt se mit aussitôt à buriner ce précieux portrait. Mais les libraires, qui attendaient une gravure froide et solennelle, refusèrent cette œuvre délicate, souple, spirituelle que le Maître avait égayée par la vue du jardin de Franeker. Se croyant dupés et s’attendant aux réclamations de l’artiste, ils firent entendre des témoins chez un notaire, et ils durent avoir gain de cause, contre le buriniste Rembrandt, car son œuvre ne parut pas dans leur réédition et lui resta pour compte.

Dans ce recul de cinquante lustres, l’aventure paraît plaisante en ce qu’elle nous montre la bonhomie de ce grand artiste, qui n’hésitait pas, pour aider les siens, à graver de seconde main, pour de petits libraires, un portrait qu’il aurait refusé aux grands collectionneurs assiégeant sa porte quelques années auparavant.


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Rembrandt n’a laissé d’autre enseignement que ses œuvres. Il n’a pas codifié, comme le Vinci, la synthèse de ses acquêts dans un traité didactique. Aussi l’étude de sa technique ne peut-elle être entreprise devant ses peintures, dont l’éclat s’assourdit chaque jour, derrière cet écran d’or, toujours plus opaque, que le travail des ans a tissé entre les plus vigoureuses conceptions picturales d’il y a trois siècles et notre investigation moderne, anxieuse de connaître les élémens du grand problème de son art. Ses élèves ont recueilli quelques-unes de ses théories artistiques, mais ne les ont pas appliquées ; car il était de cette race d’artistes qui ne peuvent pas avoir de descendance, comme Michel-Ange, Shakspeare ou Beethoven. C’est seulement dans ses eaux-fortes, sur les cuivres mêmes qui nous ont été conservés, et où toute la genèse de chaque œuvre apparaît, que l’on peut suivre, dès le début, le processus de sa conception personnelle jusqu’à sa réalisation qu’il a jugée définitive. Car elle est de lui, cette opinion qu’une œuvre d’art est achevée lorsqu’elle exprime exactement tout ce qu’il fallait dire. Mais avec sa nature impressionnable, ses sautes constantes de direction, ses brusques partis pris d’effaçages et de reconstructions, cet achèvement était si souvent remis en question qu’il