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Tant qu’il ne s’était agi que d’opprimer des peuples slaves isolés, comme les Tchèques ou les Croates, François-Joseph l’avait fait ou laissé faire sans inquiétude. Mais s’il venait à grandir, aux portes de l’Empire, un État slave indépendant, capable un jour de chercher à délivrer ses frères du joug des Habsbourg, le scandale et le péril devenaient intolérables. Précisément, à partir de 1905, s’était développé en Croatie, jusqu’à y devenir prépondérant, le parti de la « Coalition serbo-croate, » dans lequel l’influence serbe dominait. En Bosnie-Herzégovine, malgré la pression de l’administration, malgré leur alliance avec les musulmans, les Croates-catholiques restaient une faible minorité, tandis que l’influence des Serbes-orthodoxes ne cessait de grandir. L’abominable iniquité du procès d’Agram n’arrêtait pas leurs progrès. Tous ces symptômes furent présentés à François-Joseph vieillissant comme le prélude d’un vaste mouvement de révolte contre son autorité, comme une menace à cette intégrité des États de sa Maison, dont la conservation était devenue le but de sa vie et la loi de sa politique. Il se résolut à écraser la Serbie. L’attentat de Sarajevo fut l’argument qui, habilement manié par ses conseillers, précipita une résolution déjà arrêtée en principe.

On sait le reste. Ce qu’il faut ajouter, c’est que François-Joseph est resté, jusqu’à ses derniers jours, conscient de ses actes. Sa responsabilité dans la guerre est entière. Comme Guillaume II, son complice, il a voulu de deux choses l’une : ou la complète soumission de la Serbie et l’humiliation de la Russie et de ses alliés, ou la guerre. Il était dans la logique de son caractère et de son règne que, dans ces circonstances tragiques, son mauvais conseiller fût un Hongrois : ce fut le comte Tisza. Il se trouva cependant de fidèles serviteurs de la Couronne, dont le temps n’est pas venu de révéler les noms, pour démontrer à l’Empereur que la guerre ne pouvait, en cas de défaite, aboutir qu’au démembrement de ses États, et, en cas de succès, qu’à une étroite dépendance de l’Autriche vis-à-vis de l’Allemagne : ils ne furent pas écoutés. L’histoire dira qu’ils furent sages.

Elle dira aussi que, pour le malheur de l’humanité, François-Joseph vécut trop longtemps. Certes, la responsabilité de Guillaume II est encore plus lourde que la sienne ; il ressort cependant de tout ce que nous avons essayé de montrer que si