Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

François-Joseph avait, dans le long cours de son règne, fait preuve d’un sentiment plus élevé et plus vrai de la justice que les rois doivent à tous leurs sujets, il n’aurait pas conduit l’Europe à l’épouvantable catastrophe de cette guerre. Le conflit n’aurait pas pu éclater si l’Autriche avait été, en Europe, un élément de stabilité et de paix : et c’était sa seule raison d’exister. Par-là encore la responsabilité de François-Joseph est terrible. L’histoire s’arrêtera avec étonnement, avec effroi, devant la figure orgueilleuse et dure de ce souverain qui fut, à son époque, un vivant anachronisme, qui ne comprit pas son temps et qui ne fut pas compris de lui ; elle devra reconnaître en lui l’une des plus complètes incarnations, dans notre siècle, de ce principe d’autorité dont nos sociétés démocratiques ont condamné l’abus. Elle ajoutera aussitôt que cette autorité, il en a abusé et mésusé, qu’il n’a fait ni le bonheur, ni la grandeur de ses peuples et que, tout compte fait, il fut un mauvais roi.

Il est mort. Son successeur, son petit-neveu l’empereur Charles Ier, monte sur le trône à vingt-huit ans, au milieu de la plus épouvantable tourmente que les peuples de l’Europe aient jamais subie. Sa jeunesse n’a pas d’histoire et ses actes ne nous ont encore rien révélé de ses conceptions politiques. Quelles réactions provoquent dans son esprit et dans son cœur les événemens dans lesquels il devient l’un des grands acteurs ? Quels sentimens fait naître en lui la mainmise de plus en plus complète des Allemands sur son Empire et sur son armée ? Il est impossible de le conjecturer. On peut supposer cependant que la fierté et l’humanité d’un jeune souverain doivent être plus susceptibles que l’expérience blasée d’un octogénaire. La France sait que l’impératrice Zita, qui partage avec lui le redoutable fardeau de l’Empire, appartient à la famille des Bourbons de Parme, dans laquelle les sympathies françaises sont un noble héritage de glorieux ancêtres, que deux de ses frères se battent très bravement dans l’armée de nos magnanimes alliés belges et portent la croix de guerre française. Mais la France sait aussi que les événemens, en des temps comme ceux-ci, sont plus forts que les volontés ou les sympathies individuelles : elle attend les événemens pour juger les hommes.


RENE PINON.