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Leur qualité officielle ne les empêcha cependant pas de se livrer, dès le premier jour de leur incorporation, à des démonstrations provocantes. Ils affichaient avec insolence leurs opinions politiques, déchiraient les journaux venizélistes collés sur les murs des maisons, pénétraient par groupes dans les milieux publics fréquentés par les libéraux qu’ils repéraient, ou bien se tenaient aux carrefours des rues, pour mieux suivre des yeux tout citoyen suspect de venizélisme. Enfin, une fois réunis dans les casernes, ils recevaient la visite de personnages officiels, venus pour stimuler leur enthousiasme et pour leur donner la consigne que pas un seul soldat étranger ne devait rester vivant le lendemain.

Ces indices significatifs inquiétèrent au plus haut point les ministres alliés et l’amiral français. Inquiétude d’autant plus légitime que ce même jour, — le 30 novembre, — paraissait dans le Journal officiel un décret royal autorisant les enrôlemens volontaires dans l’armée active et sanctionnant ainsi les appels individuels dont les réservistes avaient été l’objet.

L’émotion de l’amiral Dartige du Fournet fut cependant un peu diminuée par une déclaration écrite faite par le maréchal de la cour du Roi, M. Mercati, au nom du souverain lui-même, affirmant qu’en tout cas l’ordre ne serait pas troublé. Cette promesse détermina l’amiral à publier un communiqué, à l’adresse du peuple, affirmant que l’ordre serait maintenu et qu’on n’avait rien à redouter. Le calme fut ainsi rétabli parmi la population paisible, péniblement impressionnée par tout ce qu’elle voyait dans les rues et aussi par les menaces mystérieuses que les policiers et agens divers faisaient planer sur elle en traçant des croix, des cercles et autres signes rouges sur les portes de tous les magasins ou maisons appartenant à des venizélistes. Ces inscriptions étaient destinées à guider l’armée au moment de l’agression contre les citoyens fidèles au programme ententophile et patriotique de M. Venizelos.

Les diplomates alliés n’étaient pas moins inquiets que la foule, en voyant la tournure que prenaient les événemens. M. Guillemin en témoigne dans l’interview que nous avons déjà citée. « La veille du jour fatal, déclare-t-il, nous étions moins optimistes. Nous avions été témoins de faits inattendus qui montraient qu’un sentiment hostile se développait parmi les réservistes. » Les trois ministres adressèrent donc au roi