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tous aussi fermés, tous aussi égoïstes. Des vagues d’idées passaient par momens sur ces mares stagnantes : on parlait beaucoup de féminisme, et par féminisme les unes entendaient la conquête de droits nouveaux, de libertés nouvelles, l’accès aux écoles et aux carrières jadis réservées aux hommes, l’élargissement du code civil et la conquête du bulletin de vote ; d’autres espéraient et recherchaient surtout un progrès dans le sens de l’individualisme, une plus libre moralité, et, selon des formules connues, le « droit au bonheur, » la liberté de « vivre sa vie. » D’autres luttaient avant tout pour l’amélioration de leur situation économique, l’égalisation des salaires, les garanties élémentaires données à la maternité ouvrière. On pouvait ainsi distinguer trois courans principaux à l’intérieur du féminisme allemand, relevant l’un de l’intellectualisme pur, l’autre d’une révolte plus profonde, intellectuelle, sentimentale et sociale à la fois ; le troisième nettement prolétarien et rattaché officiellement à l’Internationale socialiste. De patriotisme il n’était guère question, au contraire. Grâce à de fréquens congrès internationaux, à des relations constantes avec des groupemens analogues d’Europe et d’Amérique, les diverses associations féminines et féministes semblaient travailler plutôt à une entente qu’à un antagonisme entre les nations. Le pacifisme était pour presque toutes un des articles fondamentaux de leur programme[1].

La guerre, éclatant soudain, a produit en Allemagne, comme dans tous les pays belligérans, une explosion unanime de patriotisme belliqueux, d’enthousiasme et de foi. Les femmes n’ont pas fait exception, et nous pouvons en croire les témoins : c’est sans larmes, c’est dans une fièvre d’orgueil et d’espoir que les mères, les épouses, les sœurs, les fiancées d’Allemagne ont laissé partir leurs soldats. Pareilles aux femmes de tous les pays, elles ont entrepris de remplacer les hommes absens, tant au bureau que derrière la charrue, à l’école, dans les maisons de banque, de commerce et d’industrie, et partout où le gouvernement acceptait leurs services. Dans la Croix-Rouge, elles se sont enrôlées en foule. « Nous avons découvert dans nos propres âmes une terre nouvelle, écrit Gertrud Bäumer. Aucun amour, si heureux ou si douloureux soit-il, aucun art, si haut qu’il nous ait portées ou entraînées, aucun travail,

  1. Lily Braun, pp. 4-7 ; G. Bäumer, pp. 5-6