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aucun bonheur ne nous avait communiqué pareil élan. Ce qui parlait, sentait, voulait en nous, c’était l’Allemagne ; notre âme individuelle se fondait dans l’âme de notre peuple… Cette époque est pour notre génération la cime unique de l’existence… Nous pleurons sur ceux qui ont dû fermer les yeux avant d’avoir vu le grand jour de leur peuple. » Nous n’avons pas à décrire ici cette activité de guerre ; les documens précis et complets ne sont pas encore entre nos mains. Mais nous pouvons demander aux plus réfléchies, aux plus intelligentes parmi ces femmes, non plus ce qu’elles ont fait pour parer aux maux de la guerre, mais ce qu’elles pensent de cette guerre, de ses fins et de ses moyens. Leur réponse unanime sera : « Cette guerre est sainte ; de perfides adversaires nous l’ont imposée et nous nous défendons ; pour la bonne cause, tous les moyens sont bons ; nos armes triompheront de par la vertu supérieure et l’éminente culture qu’elles représentent. » Eloquente monotonie du concert allemand ! Aux cuivres et aux caisses des militaristes s’accordent les violens frénétiques des poètes, les orgues solennelles des hommes d’Eglise, les accordéons de la Social-démocratie et jusqu’aux flûtes et aux fifres de la littérature féminine. Et tous ne savent qu’un seul air : Deutschland, Deutschland über alles !

Que pense de la guerre une essayiste distinguée, Lucia-Dora Frost ? Je n’ai sous les yeux qu’un seul article d’elle, et il est un peu ancien[1] ; mais ces quelques pages suffisent à caractériser cette mobilisation au service du germanisme qui a été celle de toutes les plumes et de tous les cerveaux. A la campagne impérialiste, anti-anglaise et anti-belge, des femmes n’ont pas craint de s’associer, sans une minute d’hésitation, sans un geste de pitié, pour un adversaire faible et supplicié.

C’est contre cet adversaire faible, — la Belgique, — que L.-D. Frost assemble tout d’abord ses foudres. C’est à la Belgique que d’emblée elle s’en prend du caractère rigoureux et cruel qui a marqué la guerre dès ses débuts. Les Belges ont, d’après elle, provoqué cette guerre ; ils lui ont ensuite imposé sa coutume inhumaine. Et ce n’est pas faute d’avoir été prévenus ! Dès 1911, le général prussien von Deines écrivait que la Belgique périrait d’avoir eu un bâtisseur de forteresses trop

  1. Perspektiven, dans la Neue Rundschau de novembre 1914.