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l’ombre, il suppose Vicence aux prises de ses ennemis et délivrée par lui, Tito Bassi, qu’une foule en délire acclamera, fera passer sous des arcs de triomphe, l’épée à la main, conduira même jusqu’à la basilique, où le podestat, timide et plein de gratitude, lui mettra aux tempes la couronne de vert laurier.

Mais, un jour qu’il se promène sur la route de Padoue, un cavalier s’approche, au galop. Tito se jette aux naseaux du cheval, saisit la bride. Il est traîné dans la poussière. Il a sauvé cet imprudent. L’imprudent le remercie avec des injures : de quoi se mêle-t-il, d’arrêter les chevaux quand on s’exerce à la course ? il a failli désarçonner un milord. Une autre fois, un moine qui mendie de porte en porte, la besace vide, se débat contre un chien furieux qui déjà tire sur un pan du froc. Tito n’écoute que son courage et, d’un bâton, tue le chien. C’est beau ! Une semonce du moine le récompense : pourquoi entraver les desseins de la Providence ? et, si Dieu voulait que sa créature pâtit sous les crocs du molosse, Tito n’avait point qualité pour intervenir en de tels projets. Tito s’attriste, jusqu’à une circonstance heureuse où il débite au comte et à la comtesse de Vallarciero une harangue latine, joliment redondante, et célèbre leurs noces d’argent. L’assemblée est nombreuse. Il y a là un gros homme, le seigneur Alvise Alvenigo, personnage nouveau de ce roman. Vous ne l’attendiez pas ? l’auteur n’avait pas du tout préparé sa venue ? « Je me suis borné, en cette occurrence, à suivre l’exemple de la vie, qui ne nous ménage pas les surprises… » Le seigneur Alvise Alvenigo, d’une illustre et puissante famille vénitienne, est un grand amateur de théâtre et fin connaisseur en matière de tragédies où l’histoire et la fable se joignent pour le contentement subtil d’un lettré. Sa Seigneurie n’a guère apprécié les fadaises latines de Tilo : mais la voix de Tito l’a transporté d’un si fougueux enthousiasme qu’il annonce que Tito est le fils de son cœur et de sa pensée, qu’il saura lui léguer tous ses biens, en échange de quoi Tito sera le plus fameux tragédien moderne, le Roscius moderne de Vicence et, notamment, sera César dans une tragédie du seigneur Alvenigo. A la Rotonda, qui est le séjour de ce toqué, Tito est César toute la journée : il en a le costume ; et il a aussi l’emphase qu’on prête aux héros de l’ancienne Rome depuis que sa grandeur est passée. A Vicence, il y a ce charmant théâtre, le chef-d’œuvre de Palladio, où le décor imite les rues et les superbes édifices de Vicence et, par le stratagème d’une perspective savante, réunit le double agrément de la petitesse et de l’étendue. C’est là que Tito se révèle en César ; c’est là qu’il devient, par le faux et tant