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qui, d’ordinaire, ne vaut pas l’amour. La destinée est là, dans ces romans légers et inquiets et qui sont, en même temps que la tragi-comédie de l’amour, une rêverie sur la destinée.

La destinée, les beaux problèmes insolubles, parmi tant de voluptueux épisodes ?… Sainte-Beuve appelle un fou Zacharias Werner, poète et philosophe emberlificoté de mysticisme, et qui demandait aux gens : « Savez-vous ce qu’on aime dans sa maîtresse ? » On le regardait, avec décence. Mais lui : « C’est Dieu ! » Ces confusions métaphysiques ne sont pas du tout ce qu’on trouve dans les romans de M. de Régnier : la destinée dont il s’agit demeure ici-bas, se confine avec prudence et modestie en ce monde où l’affaire de vivre est déjà compliquée.

Mais, en publiant aujourd’hui son Tito Bassi, M. de Régnier ne dissimule pas une sorte de frémissement qu’il éprouve. Ce roman fut écrit au printemps de l’année 1914, avant la date où « le bulletin de nos armées devint notre seule lecture ; » et « il se rattache à des préoccupations qui nous semblent d’un autre âge, tant leur recul s’est fait vite dans le passé ; » et la vocation héroïque de Tito est une chose qu’il faut se garder bien d’entendre au sens que le mot d’ « héroïsme » a pris dans nos pensées ; enfin ce récit ne concorde pas avec « l’état où nous vivons en ce moment. » Ce récit, dont M. de Régnier note, en quelque façon, l’inopportunité, l’ « anachronisme, » il le donne comme « le témoignage d’une époque déjà lointaine : » cette époque, vieille de trois ans, et depuis laquelle nous croirions que des siècles.se sont écoulés. « Qu’on le prenne donc comme un des fragmens de ce miroir, maintenant brisé, où notre fantaisie d’alors aimait à considérer le visage de ses rêves ! » Il y a, dans cet aveu, dans cet avertissement, un chagrin déconcerté, la peur aussi de voir anéanties, par la catastrophe et même par ses plus magnifiques résultats, plusieurs de nos raisons de vivre, et notamment l’art ou bien la littérature, ce qui n’était pas rien dans notre vie et dans la vie française. On nous annonce que tout sera changé : même, nous le voulons ; il nous paraîtrait absurde et intolérable qu’un tel effort de la nation ne fût pas le commencement d’une admirable nouveauté, sensible en toutes choses. Mais la littérature ? ce que nous appelions littérature, et qui était un jeu ?… Si le temps des jeux est fini !…

Dans son récent discours à l’Académie, M. de Régnier souhaitait que fût ajoutée à la grande Histoire du second Empire, de M. Pierre de La Gorce, un tableau de la littérature à cette époque : « L’histoire d’un temps me semble inséparable de celle de sa littérature ; et, en