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Pour en comprendre toute l’importance, essayons brièvement de nous représenter quelle serait la situation respective de deux belligérans également nombreux, également bien outillés par ailleurs, mais dont l’un serait démuni d’instrumens d’optique. Celui-ci ne pourrait pas assurer la justesse du tir de ses canons, faute des instrumens de pointage nécessaires. Un exemple récent vient d’illustrer tragiquement ce que serait cette situation. On sait que l’armée roumaine était fournie d’artillerie de campagne par Krupp. Or, depuis près de trente ans, la Roumanie était liée par un traité d’alliance avec l’Allemagne ; malgré cela, — et comment ne pas admirer ici le stupéfiant et diabolique esprit de prévoyance de nos ennemis ? — il y avait, dans tous les canons de campagne fournis par Krupp aux Roumains, un petit détail optique qui avait été systématiquement « saboté : » tous les niveaux de pointage à bulle d’air des pièces avaient été par le constructeur remplis seulement d’eau au lieu de la dissolution saline qu’on y met toujours pour empêcher la congélation du liquide par le froid. Les Allemands se réservaient naturellement, si la Roumanie marchait avec eux, de corriger cette défectuosité au moment voulu. Au contraire, si elle se déclarait contre eux, le fonctionnement de son artillerie était compromis. C’est ainsi qu’un grand nombre des canons roumains n’ont pas pu tirer utilement, parce que, dès qu’on les amena dans la montagne, le froid congela l’eau des niveaux de pointage qui éclatèrent, rendant impossible un tir précis.

Comment qualifier l’honnêteté commerciale de ceux qui livrèrent du matériel dûment payé dans ces conditions de machiavélique perfidie ?

Comment aussi ne pas s’étonner que les techniciens chargés de la réception de ce matériel n’aient pas aperçu en temps utile le sabotage ? Mais passons… et venons à notre démonstration.

Non seulement celui des deux belligérans qui serait démuni d’instrumens d’optique ne pourrait pas pointer exactement le tir de ses canons, mais il ne pourrait pas télémétrer les distances qui servent d’élémens à ce tir ; en outre, il ne pourrait pas observer ce tir lui-même dès que la portée serait un peu grande, faute des lunettes, jumelles et autres appareils de télévision nécessaires ; voilà pour l’artillerie.

L’infériorité de l’infanterie ne serait pas moindre : d’une part, la nécessité de s’abriter s’accompagnerait pour elle d’un aveuglement complet, faute d’appareils de vision indirecte, périscopes et autres, et là livrerait non prévenue à toutes les surprises. En outre, incapable