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l’Occident. C’était le rêve d’un croisé doublé d’un César en herbe. Il faillit le réaliser. Repoussant les offres d’alliance de l’empereur Cantacuzène, Douchan s’empara successivement de l’Albanie, de l’Epire, de l’Acarnanie et battit le roi de Hongrie à Raguse. Réunissant la première Skouptchina à la citadelle de Skopié, il se fit proclamer tsar des Serbes, des Grecs et des Bulgares, et se mit à porter la tiare. Etienne Douchan fut surnommé Silni, ou le Puissant, par son peuple et se montra aussi habile administrateur que grand guerrier. Il fit rédiger un code serbe, appela à sa cour des savans étrangers et divisa le pays en voïvodies qu’il distribua entre les meilleurs chefs, organisant ainsi la féodalité en Serbie, sous le sceau de sa couronne. Douchan s’était débarrassé de la suprématie de Byzance en nommant un patriarche national.

Cependant, pareille à une immense nuée d’orage qui monte sur l’horizon et assombrit le ciel, la formidable invasion ottomane s’amassait autour de Constantinople. Les nouveaux barbares, les Turcs, héritiers des Huns et des hordes de l’Asie centrale, après avoir conquis une partie de l’Inde et toute la Perse, s’étaient emparés de l’Asie Mineure. Déjà le Croissant, qui pour trois siècles allait devenir la terreur et le fléau de l’Occident, le Croissant, qui précède la tête monstrueuse de la force brutale, couronnée par l’anarchie sous le nom de pouvoir absolu, le sinistre Croissant turc se dressait à Brousse, en face de la Croix et de la vieille Byzance, héritière impuissante de la Grèce et de Rome. Quelle tentation pour le jeune Tsar de s’emparer de Constantinople pour devenir ensuite, avec toutes les nations balkaniques réunies sous son sceptre, le boulevard de la chrétienté contre l’Islam ! Le Charlemagne improvisé de la Serbie eut cette pensée et cette audace. Mais à peine eut-il pris son élan vers son rêve impérial que le destin trancha sa vie. Il mourut brusquement de la fièvre, au village de Djavoli, au moment où il croyait voir briller à l’horizon cette coupole de Sainte-Sophie, qui fut cent ans plus tard la proie des Turcs et qui devait rester le mirage décevant de tant de Césars, de rois et de peuples.

Sous les successeurs de Douchan, le cyclone turc se déchaîna sur les Balkans. Le petit peuple serbe encore en formation ne pouvait résister à la longue à l’innombrable armée musulmane militairement disciplinée. L’usurpateur Voukachine ayant