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Un haut plateau, parsemé de brousses et de petits cours d’eau. C’est Kossovo. On l’appelle aussi le Champ de merles, car au printemps d’innombrables oiseaux y gazouillent dans la cime des trembles et des érables. Au loin, des montagnes bleues, assises en cercle, ont l’air de protéger de leur solitude ce cœur de la Serbie. Mais maintenant elle retentit du bruit des tambours turcs et des trompettes chrétiennes. Elle fourmille de soldats. Les deux armées sont en présence et campent face à face.

D’un côté, au centre, sur une large colline, le Sultan avec ses janissaires. Sur une hauteur, à droite, son fils Bayésid (Bajazet), surnommé Ilderim (l’Eclair), avec le farouche géant Evrenosbey et ses Turcomans. Sur la gauche, l’autre fils du Sultan, avec les recrues de l’Asie Mineure et de la Perse. En face de l’armée turque, Lazare occupe une autre colline avec ses voïvodes et l’élite de ses troupes. Brankovitch campe sur une série de coteaux, à gauche, avec ses douze mille hommes. Derrière un marais, le vieux Bogdan attend avec ses fils, les neuf Yougovitch, à la tête de leur cavalerie. L’armée turque est trois fois plus nombreuse que l’armée serbe. Les pesmés s’émerveillent devant sa masse disciplinée : « L’armée des Turcs a tout occupé. Cheval contre cheval, guerrier contre guerrier. Les lances de guerre forment une notre forêt, et partout des étendards pareils à des nuages et des tentes à croire à une tombée de neige. Le ciel dût-il répandre des flots de pluie, ces flots ne toucheraient pas la terre, mais rien que des hardis chevaux et des guerriers. »

Le combat s’engage d’abord dans la plaine entre les fantassins et les archers. Une nuée de flèches obscurcit le ciel ; suit un corps à corps. L’élan des Serbes est tel qu’ils enfoncent l’ennemi et approchent des palissades du camp.

Mais brusquement les barrières tombent, et le camp vomit une masse imposante de trois mille cavaliers. Devant eux, les Serbes s’arrêtent immobiles. Ce sont les janissaires aux turbans rouges, avec leurs sabres recourbés, montés sur leurs chevaux tartares. Ils s’avancent lentement, au pas, comme s’ils hésitaient devant la foule grouillante des fantassins. Au milieu d’eux se dresse une apparition terrifiante. Isolé comme