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venaient orner les tables où se consommaient, après les venaisons des chasses du Liban arrosées des vins de la Liche ou d’Engadi, les célèbres confitures d’Asie. Les tapis épais, les chatoyantes tentures enrichissaient palais et hôtels qui, par ailleurs, s’ornaient de ces peintures, mosaïques, bassins de marbre, — objets d’émerveillement pour pèlerins et croisés survenant d’Occident.

En ces châteaux et hôtels encore se mariaient les deux civilisations, car le mobilier étant d’Orient, le cadre restait pour une grande partie d’Occident. Si c’étaient les étoffes venues de « pays de païenisme » qui vêtaient les murs des châteaux et jusque des églises, châteaux et églises restaient les représentans de la nouvelle ère, du style de Francie. Si influencés qu’ils fussent eux-mêmes par les ambiances, ingénieurs et architectes francs travaillaient à la franque : leurs œuvres, — châteaux, hôtels, églises, — devaient rester pour de longs siècles les témoins d’une domination qui, contrairement à ce qu’on pense communément, sut fonder et bâtir.

Le baron Rey a fait de l’architecture militaire et civile, le marquis de Vogué de l’architecture religieuse, une étude que je ne pense point reprendre en ce cadre étroit, mais dont je veux donner quelques traits parce que, là aussi, éclate le caractère spécial de ce régime franc.

La Croisade, si elle avait amené les Francs à s’orientaliser, n’en avait pas moins, — à l’origine, — imprégné le régime du double caractère que jamais il ne répudiera. L’expédition était d’ordre militaire et religieux : pas un instant, les princes francs ne perdront de vue qu’ils sont des soldats et des chrétiens. Contre le retour offensif possible de l’Islam refoulé, ils établirent cette ligne de châteaux forts qui constituent bientôt la défense du royaume toujours menacé. Et, par ailleurs, venus pour faire triompher la Croix aux lieux où le Christ était né et était mort, ils entendirent que la Terre Sainte fût par eux deux fois sanctifiée, ouvrant leurs trésors pour que partout s’élevassent monastères et églises : Bethléem, Nazareth, Jérusalem, étaient, avant tous autres lieux, sacrés. Les châteaux forts étant la cuirasse de l’Etat, les églises en seraient l’âme.

Je ne suivrai point le baron Rey dans la description détaillée, pittoresque et attachante, qu’il nous a faite des cinquante châteaux qu’il a reconstitués dans un admirable recueil. Je ne pense