Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suspendues aux murs et les riches tapis jetés sur les dalles froides étaient le tribut des « terres de païénisme » au culte du Christ restauré.


D’après ce qui précède le lecteur peut, je crois, se faire une idée assez juste de ce qu’avait de très original la vie publique et privée des colonies franques d’Orient. Des palais aux châteaux, des églises aux marchés, des quais des ports aux ruelles de la Ville Sainte, de la table des grands aux cérémonies du Temple, du costume à la nourriture, des armes aux monnaies, tout était composite, mélange d’Occident et d’Orient, de grandeur franque et de richesse asiatique.

Un roi flamand, angevin, champenois ou poitevin règne sur « la Montagne de Sion, » dans le « Palais de Salomon ; » sous lui des princes lorrains, normands, languedociens sont seigneurs d’Edesse, Antioche et Tripoli ; et des preux venus de toutes les Gaules sont prince de Galilée, comte de Jaffa, sire de Montréal, etc., tandis que des pentes du Liban aux sables du désert de Palmyre, de la Mer-Morte au rivage de Tyr et de Sidon, d’autres ont leurs fiefs. Des châteaux forts assez semblables à ceux de la Seine, ou de la Loire, se dressent. Des églises romanes retentissent des chants latins, tandis que c’est au Marché aux Herbes et dans la rue Malcuisinat que se débitent les fruits d’Orient. Venise et Pise et Gênes règnent sur les bazars, Paris, Orléans, Rouen, Laon se retrouvent dans les palais.

Mais ces Francs venus, — ou leurs pères, — d’Occident ne ressemblent plus, après vingt et surtout quarante ans, à leurs frères et cousins des Gaules. Une société tout à fait particulière s’est fondée. Tout en haut, dans ce « palais de Salomon, » une cour quasi asiatique s’est organisée, ressemblant plus, en apparence, à celles de Bagdad ou de Cordoue qu’à celles de Paris et de Londres. On y voit le Roi et ses féaux porter le turban ; — naguère honni, — et la tunique de soie et les babouches d’Orient. Tandis que s’agitent des esclaves nubiens et que la garde turque assure les portes, des ambassadeurs grecs, arméniens et arabes viennent rendre hommage à celui que les chroniqueurs appellent parfois « le roi de l’Asie, » mais qui, ainsi qu’un Tancrède, ne refuserait point de se laisser qualifier de « Grand