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pris entre deux feux, dans la fusillade et la canonnade. Le comptable de la bonneterie Emile Blech fut atteint d’une balle au ventre. En le voyant tomber, un officier allemand se mit à rire, en disant :

— Vous saurez que ce sont des balles françaises qui vous frappent, et non des balles allemandes.

Un Boche dont l’Histoire doit conserver le nom et flétrir les méfaits, le lieutenant bavarois A. Eberlein, eut l’infernale malice de forcer trois civils à s’asseoir sur des chaises, au milieu d’une rue balayée par l’artillerie et la mousqueterie[1]. Le Herr Leutnant jouissait férocement du supplice de ses victimes. Leurs prières angoissées, les gestes de leurs mains jointes l’amusaient prodigieusement. Et qu’on ne voie point dans cette cruauté atroce uniquement l’effet d’une fantaisie individuelle. C’était la conséquence d’un ordre donné par le général en chef von Knœrzer. Sous les fenêtres de l’hôpital Saint-Charles, deux autres otages sont poussés contre un mur et fusillés par un peloton de six soldats allemands[2]. Eberlein voit leurs cadavres gisant sur la chaussée et se réjouit.

Pendant ce temps, devant une maison de la rue Tharin, brûlée par ordre, arrosée de pétrole, embrasée méthodiquement par l’emploi des pastilles incendiaires qu’a inventées le professeur Ostwald, chimiste officiel de l’université de Leipzig, un colonel allemand faisait des discours à une assemblée de vieillards, de femmes et d’enfans terrorisés :

— Regardez, disait-il, regardez votre ville, comme elle brûle bien ! Cela vous apprendra à nous déclarer la guerre !

Toujours le mensonge allemand, machine de combat, dont l’emploi est réglé par les barbares savans, aussi attentifs au « bourrage des crânes » qu’au chargement des obus de 420, — le mensonge incessant, répété, s’imposant par l’obsession physique aux soldats du kaiser et faisant de l’armée allemande une horde dont l’équipement homicide est complété par une provision de sophismes meurtriers. La consigne est de répéter

  1. Eberlein s’est vanté lui-même de cette « bonne idée » dans les Dernières nouvelles de Munich, du 7 octobre 1914 (Vorabendblatt, p. 2).
  2. Mlle Marcelle Ferry, infirmière-surveillante à l’hôpital Saint-Charles, témoin de ce fait, a déposé sous serment devant la Commission d’enquête, instituée par décret du 23 septembre 1914. V. Rapports et procès-verbaux d’enquête de la Commission instituée en vue de constater les actes commis par l’ennemi en violation du droit des gens, tome V, page 179.