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par rangs et par files l’énorme imposture du baron de Schoen, ambassadeur d’Allemagne à Paris, affirmant qu’un aviateur français a bombardé la voie ferrée de Nuremberg au mois de juillet 1914 ! Ce mensonge est une vérité pour les têtes carrées qui, sous d’innombrables casques à pointe, descendent sur Saint-Dié par le chemin de la Corvée, par les hauts de Robache, par les sentiers des Molières, par la route de Saint-Jean-d’Ormont.

Les survivans du 51e bataillon de chasseurs alpins, voyant leurs barricades détruites par un bombardement auquel notre artillerie ne pouvait pas répondre, vont s’abriter au faubourg des Tiges, situé à l’Ouest de la ville, sur la route que traverse le passage à niveau du chemin de fer de Lunéville à Epinal. Là, au café de la Madeleine, ils voient un colonel d’artillerie, penché sur une carte d’état-major, et donnant des indications à quelques officiers de leur bataillon, ainsi qu’à des gradés de tous régimens, réunis comme par hasard en cet endroit, au milieu d’un inquiétant pêle-mêle d’uniformes dépareillés. Mais voilà qu’une vive fusillade, éclatant du côté des roches Saint-Martin, annonce aux défenseurs de Saint-Dié qu’ils vont être contournés, cernés par des ennemis dont ils ne peuvent même pas évaluer le nombre ni la force. Les masses allemandes semblent se multiplier de tous côtés. La gare est envahie. Toute retraite sera bientôt coupée, si l’on ne se décide à une prompte résolution. Il n’y a plus que deux alternatives : se rendre sur place ou se donner de l’air, prendre du champ par la dernière issue, afin de revenir bientôt et d’empêcher les Allemands de pénétrer dans le massif boisé qui sépare Bruyères de Saint-Dié. L’idée d’une capitulation est vivement écartée. Sous les ordres du commandant Dechamps, le repli commence, en bon ordre. Les hommes peuvent se défiler, par des chemins détournés, et sous la faible protection de la voie ferrée, jusqu’au ruisseau du Taintrouet, qu’il faut passer à la nage. Malheureusement, les eaux de ce torrent ont été subitement grossies par un orage récent, et plusieurs blessés, entraînés par les flots, périssent avant d’avoir pu atteindre la rive salutaire.

Enfin, au terme de cette affreuse journée, où les élémens eux-mêmes, soulevés par la tempête, semblaient favoriser les desseins de l’ennemi, nos héroïques alpins, exténués, purent se coucher, s’endormir sur la paille, sous les sapins, ou dans le