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villes de garnison. Salonique a un restaurant, dans un jardin, au bord de la mer, avec tables fleuries et orchestre de faux tziganes ; Salonique a des tramways qui marchent très bien, — quand ils marchent, — un éclairage électrique qui fonctionne très bien, — quand il fonctionne, — une eau excellente qui tarit quelquefois, parce que la population a triplé, mais non pas le débit des sources. Si vous venez ici et que vous désiriez être chez vous, par exemple dans une villa des campagnes, comme font la plupart des officiers, installés en « popotes, » de bonnes dames, grecques ou juives, vous céderont, à un prix élevé, des appartemens meublés avec une apparente richesse, et si l’apparence ne vous suffit pas, c’est que vous serez trop exigeans. Si vous préférez l’hôtel, vous aurez peut-être, comme moi, le plaisir d’habiter parmi des spécimens de mobilier disparates, en attendant les choses superbes que le patron a commandées en France et nous annonce pour l’hiver prochain !… Partout, vous trouverez des sommiers durs, des lits en tête noire ornés de paysages et de bouquets peints, et la plus fantastique camelote austro-allemande ; les domestiques vous parleront, partout, le même sabir zézayant ; partout les blanchisseuses vous feront payer très cher leurs efforts pour user votre linge par des empois invraisemblables ; partout l’on vous servira la même pitance ; l’agneau rôti, l’agneau bouilli, l’agneau frit, et même, comme dit une chanson, l’agneau pourri. Partout, les poissons auront le goût du papier de soie macéré dans l’huile rance ; le beurre blême évoquera des souvenirs de chandelle ; les courgettes foisonneront implacablement, à chaque repas, et les fruits qu’on vous servira, verts et durs comme des balles, disparaîtront du menu lorsqu’ils arriveront à maturité. Si vous désirez acheter un objet quelconque, des marchands au sourire suave vous répondront avec sérénité : « Missieu, il n’y a pas ! » et s’ « il y a, » leur sourire se fera plus suave afin de vous extorquer votre bel argent français, — plus 12 pour 100 pour le change !

Vous direz peut-être alors :

« Je connais Salonique, capitale de la Kamelote ! J’achète une étoffe, elle déteint ; un fauteuil, il se détraque sous moi ; je commande un dîner, il m’empoisonne ; je cause avec des indigènes, ils ne disent jamais la vérité… »

Vous direz peut-être cela et vous aurez raison et tort tout