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odorantes. Certes, notre Provence française est plus grecque mille fois que l’humide et lourde Macédoine, plus grecque par l’élégance aride des lignes, la clarté rayonnante, l’esprit et le sourire… Et je n’ai pas retrouvé non plus, ici, le doux et triste charme du pays turc, cette paix funéraire qui tombe des très vieux cyprès sur les petites maisons brunes de Stamboul, sur les turbés de marbre grillagés d’or, et les fontaines peintes d’azur, aux dalles disjointes.

Salonique, c’est la Macédoine, et c’est aussi la Judée. Comptoir, entrepôt, magasin, Salonique n’a pas connu les heureux loisirs qui permettent la libre floraison des arts, et jamais elle n’a lancé des flottes idéales vers les lies chimériques du Rêve. Elle n’a donné au monde ni un poète, ni un poème, ni une statue, ni un grand homme, et, bien qu’elle recèle encore de beaux monumens byzantins, rien dans ses murs ne parlerait à notre âme, si l’écho de la grande voix de saint Paul ne s’y prolongeait, à travers les siècles.

L’Occidental qui débarque pour la première fois éprouve cette déception que j’ai marquée. S’il veut s’instruire, pour mieux juger, il lira tout d’abord, peut-être, un petit Guide qui contient des renseignemens d’ordre pratique, un résumé historique très succinct, et enfin certain chapitre qui s’appelle : « Fléaux, calamités, catastrophes, » (sic) et qu’on ne s’attendait certes pas à trouver dans une brochure de propagande faite pour allécher les touristes. Il apprendra ainsi que les Grecs, les Romains, les Barbares, les Slaves, les Francs, les Vénitiens, les Turcs ont campé tour à tour dans cette malheureuse ville, qu’ils y ont apporté leur langue, leur religion, leurs lois, leurs mœurs, leurs appétits, et qu’ils y ont laissé chacun sa trace, parmi des ruines. Aucun n’a pu dire : « Je demeurerai ici » avec certitude. Aucun, en abandonnant la riche proie qu’il ne pouvait garder, n’a renoncé au désir de la reprendre. L’histoire de Salonique n’est qu’une longue énumération de massacres et de pillages. Et le Guide ajoute naïvement :

« Les menues calamités n’ont jamais épargné Salonique. S’il n’y a plus de grands carnages comme ceux de 904 et de 1185, il reste en partage, à la ville, les divers fléaux du ciel et de la terre. Des ouragans sèment souvent la dévastation dans les campagnes. Des pluies viennent inonder les demeures souterraines, si nombreuses dans la localité, et des bordées de