Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que de prodiguer ici des jugemens sans autorité sur un sujet difficile et grave auquel une femme n’entend rien.

De même j’aimerais dessiner ici, en quelques traits, la silhouette du général Sarrail, mais je ne crois pas qu’il lui soit très agréable d’être portraicturé en pied pour la centième fois. Il a dû éprouver quelque agacement à lire, dans tous les journaux de Salonique, qu’il ressemblait autrefois à Henri IV, — lorsqu’il portait la barbe, — et qu’il ressemble maintenant à un maréchal du XVIIIe siècle. Ces sortes de complimens ne plaisent qu’à demi à un soldat qui est le moins apprêté et le moins snob des hommes, et nullement préoccupé de l’effet qu’il produit. Je dirai donc tout simplement que le général Sarrail a une belle allure militaire, et que sa physionomie ne saurait passer inaperçue. On n’oublie pas ce visage aux traits fermes et fins, au teint coloré de vie ardente, que les cheveux blancs ne vieillissent pas et qu’éclairent deux grands yeux bleus, très bleus, parfois rieurs, et qui ne sont pas précisément tendres lorsque le général est mécontent.

La voix est brève et le geste sec ; le ton volontiers ironique. Cependant, toute cette sécheresse apparente ne décourage pas les sympathies. Elle est peut-être voulue et nécessaire. Sans doute dérobe-t-elle une sensibilité qui se défend et une bonté qui se révèle à travers les brusqueries et les boutades.

Sarrail est populaire ici. On admire qu’il ait pu, dans les circonstances les moins favorables, conduire sa trop petite armée, accomplir une retraite méthodique, organiser ce chef-d’œuvre qu’est, — au dire des gens compétens, — le camp retranché de Salonique, et cela en dépit du climat, du terrain, des Bulgares… et des Grecs. L’armée d’Orient tient en estime et en affection ce chef dont elle apprécie les vertus militaires, qui a courageusement assumé une tâche difficile entre toutes, et de si pesantes responsabilités.

Le général s’est installé, provisoirement, au Lycée français, et c’est sa présence qui valut à cet estimable établissement l’honneur d’une attaque allemande par la voie des airs. Des avions ennemis, il y a quelques semaines, firent une incursion sur Salonique, — ce qui n’alla pas sans dégâts et morts de nombreux civils, sujets du roi Constantin. — Les bombes encadrèrent le Lycée. Mais comme le Lycée n’abrite pas seulement des militaires, il est possible que Sarrail prenne un autre logis, d’ici