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Leroy-Beaulieu, bien que très jeune encore, avait su profiter prématurément de ses visites au Val Richer, et, plus tard, il émaillera ses discours de citations tirées des œuvres de l’ancien ministre de Louis-Philippe. Je l’entends encore, au cours d’une allocution, pressant ses auditeurs de s’associer au Comité du Transsaharien, leur répéter le mot célèbre : « Soyez forts et je vous soutiendrai. »

A la mort de son père, survenue le 22 août 1859, Paul Leroy-Beaulieu n’avait que seize ans et son frère Anatole dix-sept ans et demi environ. Tous deux durent donc entrer dans la vie et choisir leur voie, sous la seule influence de leur mère, fille d’un intendant militaire, officier de la Légion d’honneur, douée d’un esprit élevé, de sentimens religieux et de goûts artistiques qui lui faisaient aimer les voyages, mais trop tendre, comme la plupart des mères, pour contrarier les vocations spontanées de ses enfans. Un père leur aurait, peut-être, imposé sa volonté et, suivant la coutume, leur aurait assigné une carrière de son choix. Bien malheureuse résolution dans la circonstance ! Déjà certains membres de sa famille, m’a dit souvent Paul, destinaient, dans leur esprit, l’aîné à la magistrature et le cadet au Conseil d’Etat. Mais le joug des cadres hiérarchisés ne convenait ni à l’un, ni à l’autre. Il leur fallait la liberté d’essor, dont, loin d’abuser, grâce à des vertus exceptionnelles, ils profitèrent, au contraire, pour réussir, comme chacun le sait, au-delà de toute espérance.

Dès le lycée Bonaparte, après la mort de leur père, Paul et Anatole rivalisèrent de succès aux distributions de prix. La notice consacrée à Anatole, lue dans la séance académique du 12 décembre 1914, reproduit l’étonnant extrait des palmarès de 1860 et 1861, où les noms de chacun des deux frères sont répétés à tour de rôle, au point d’émouvoir le public, sans qu’il soit possible de distinguer auquel appartient la primauté. Plus tard, en société, on continuera souvent à disserter sur leurs mérites réciproques, sans arriver à d’autre conclusion que celle d’une admiration partagée.

Paul, après un séjour d’un an dans les universités d’Allemagne, spécialement consacré, m’a-t-il dit, à l’étude de la philosophie, organisa immédiatement sa vie, dont la caractéristique se résume en ces deux mots : unité et continuité. Nous les répéterons encore, ces deux mots, car ils sont