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qui figure sur nos anciennes pièces de nickel et que des ouvriers adroits cisèlent et découpent. On le porte en broche, en épingle, en breloque.

Peut-être le lecteur pense-t-il qu’à condition de vivre sans bruit, caché dans son coin, il est possible, à Bruxelles, de ne jamais avoir à souffrir de l’autorité allemande. Vous ne vous occupez pas d’elle, pourquoi s’occuperait-elle de vous ? Quelle erreur !… Les plus inoffensifs des habitans sont importunés, exposés à subir des peines sévères ! Voyez plutôt ce ménage paisible, ce docteur et sa femme, qui vivent bien bourgeoisement… On a sans doute fait une dénonciation, envoyé une lettre anonyme sur leur compte ; on perquisitionne, on découvre deux ou trois petites brochures, bien anodines, mais prohibées ; le docteur est condamné à six mois de prison, sa femme à trois mois. Une vieille femme de soixante-cinq ans reçoit une lettre de son fils qui est au front, par courrier secret bien évidemment, puisqu’il n’y a point d’autre moyen de correspondre ; elle est condamnée à deux ans de prison. Une de mes amies, veuve, mère d’une fillette de neuf ans, écrit à ses deux fils qui sont sous les drapeaux, — chose naturelle, s’il en fut, — et cherche par-là même l’occasion d’obliger d’autres mères en joignant leurs lettres à la sienne. Elle vient d’être dirigée en Allemagne !… Je cite quelques cas. Il y en a des milliers.


L’horreur de l’occupation, sa longue durée, le sentiment que l’avenir et l’existence même de notre pays étaient en jeu, tout cela était bien fait pour nous incliner au pessimisme. Aussi, dans notre volonté de réagir, cherchions-nous, de tous les côtés, des raisons d’espérer. Tout au début, ce fut la presse étrangère qui nous les donna.

Aucun journal étranger n’était autorisé : aussi tout un commerce clandestin ne tarda-t-il pas à s’organiser en dépit de la surveillance allemande. Un grand gaillard cherchait à vous vendre une caisse de raisins, mais, en même temps, à voix basse, il vous offrait un numéro de la Flandre Libérale qui paraissait encore à Gand et qu’on vendait chez nous de 60 centimes à 1 franc, au lieu du sou qu’il coûtait jadis. D’autres, au passage, vous murmuraient le nom d’un journal français ou du