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Standard qui insérait une page en français de La Métropole d’Anvers et vous entraînaient à tourner le coin d’une rue plus déserte pour vous glisser la feuille et réclamer l’argent… D’autres encore venaient à domicile et cherchaient à vous vendre un exemplaire du Times introduit en fraude : le prix moyen variait.entre 5 et 10 francs le numéro ; il arrivait qu’on payât le prix le plus fort, quitte à essayer ensuite de le revendre à moitié prix à l’un ou à l’autre, qui le revendait à son tour… Parfois, le porteur du journal préférait louer l’exemplaire à raison de 50 1ou 75 centimes la demi-heure. Vous étonnerai-je en vous disant qu’au milieu de septembre 1914, nous étions si privés de nouvelles et si avides d’en avoir, qu’un seul numéro du Times fut payé 200 francs ?

Un autre mode de propagation des nouvelles consistait à reproduire par la machine plusieurs copies des articles principaux d’un journal français ou des traductions de quotidiens anglais ; certaines agences clandestines s’en étaient chargées, entourées du plus grand mystère ; le soir, à la tombée de la nuit, on venait vous glisser ces coupures dans votre boite aux lettres. Chaque soir, cette lecture nous réconfortait, tandis que la lecture de La Belgique, du Quotidien, du Belge ou du Bruxellois, avec leur dose journalière de venin habilement distillé, nous déprimait chaque matin.

Des écrits d’actualités, des brochures prohibées, un sermon du Père Janvier, un discours de Maeterlinck à la Scala de Milan, des vers de Richepin, les belles paroles de M. Asquith ou de M. Viviani, tout cela ravivait notre courage ; deux ou trois exemplaires avaient seuls réussi à pénétrer, mais on se les passait, et on les recopiait avec ardeur…

Nous avions eu connaissance aussi de l’inqualifiable monument que fut le « Manifeste des 93 Intellectuels Allemands. » Il avait provoqué diverses réponses qui parvinrent à se glisser dans le pays, notamment une réponse anglaise et celle que nous appelâmes le « Verdict Américain ; » nous en étions enthousiasmés. Des ouvrages plus importans nous parvinrent de la même façon, en nombre restreint, et nous les lisions avec passion, malgré le danger couru. On se prêtait ainsi, eu cachette, La Belgique neutre et loyale de Waxweiler, le King Albert’s Book, ou le fameux J’Accuse écrit par un Allemand.

Vous conterai-je encore, au hasard de mes souvenirs,