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quelques-unes des anecdotes qui, mises en circulation un beau matin, faisaient, en quelques heures, le tour de la ville ? Elles avaient le don de semer un peu de gaieté, et, dans l’uniformité des longs jours monotones, nous éprouvions le bienfait d’une détente passagère, — fût-elle seulement de quelques instans.

Tout au début de l’occupation, un magasin du bas de la ville avait fermé ses volets. Un Bruxellois malicieux s’était amusé, à lui tracer à la craie cette enseigne : La Belgique ; et il avait ajouté : fermé pour cause d’agrandissement. N’était-ce pas faire fi de l’esprit de conquête de nos tyrans, grisés par leurs victoires des premiers jours ?

Voici une facétie qui eut le plus grand succès. Bethmann-Hollweg a été délégué par son Empereur, en mission spéciale, là-haut, près de Dieu le Père. Il frappe au paradis et saint Pierre lui ouvre la porte. Von Bethmann demande à parler au bon Dieu : « Impossible, il est malade, très malade. — Qu’a-t-il donc ? — Je ne sais, répond le saint, mais il se promène de long en large, sans répit et sans trêve ; il doit être atteint de la folie des grandeurs, car il ne cesse de répéter : « Je suis le Kaiser ! je suis le Kaiser !… » L’histoire ne s’arrête pas là. Le délégué de Guillaume II exprime son désappointement. « Quel contretemps, dit-il, car j’avais une nouvelle de très grande importance à communiquer à Dieu, de la part de mon maître. » — La curiosité de saint Pierre est vivement piquée et il s’inquiète : « De quoi s’agit-il ? » — « Voici, répond l’envoyé extraordinaire, von Bethmann-Hollweg ; mon maître, le Kaiser, me charge d’annoncer à Dieu qu’il vient de l’anoblir et que, dorénavant, il pourra s’appeler : Von Gott ! »

Enfin, voici mieux qu’une anecdote, un fait réel, une scène vécue. Le gouverneur von Bissing cherchait, pour compléter sa belle œuvre de réorganisation, à décider l’Université de Bruxelles à rouvrir ses portes. Il fait comparaître le recteur : « La reprise des cours, lui répond celui-ci, est littéralement impossible. — Et pourquoi donc ? — Plus des deux tiers des élèves de mon Université combattent pour défendre leur patrie. — Et l’autre tiers ? poursuit le gouverneur. — Oh ! celui-là, monsieur le gouverneur, il ne m’intéresse pas ! »