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quarante et un kilomètres de rail tendus entre Mombassa et Port Florence s’offrent à ses raids audacieux. C’est, en même temps, la base dont la destruction réduirait de ce côté la Grande-Bretagne à l’impuissance. Amorcée dans Mombassa, au cœur même de la ville, la voie ferrée avant d’atteindre le continent franchit le bras de mer qui la sépare de l’île, large pédoncule dont Mombassa est la fleur. Un pont très grand sur pilotis, puis la voie gravit une montée légère, mais constante et sans à-coup la locomotive atteint Nairobi, après avoir dépassé l’altitude maxima, 2 550 mètres, à la station de Mau. Nairobi contient les ateliers de la ligne, aussi ce point est-il surtout visé. Dès Voi, apparaît dans le lointain, vers l’Ouest, le majestueux profil du Kilimanjaro, et déjà c’est l’éden du chasseur. En vue des convois qui passent dans un crissement de ferrailles et malgré la locomotive dont le souffle bruyant trouble cette solitude impressionnante, les fauves se montrent souvent au grand jour. Le train s’engage dans la Rift Valley, et le paysage se révèle alors dans toute sa beauté. Au loin, d’anciens cratères qui paraissent encore porter au bord de leurs ouvertures béantes les reflets métalliques des laves enflammées, et quand le soleil baissant à l’horizon les dore de sa dernière clarté, ces terres volcaniques, pourtant si lugubres et ternes sous la pluie, se parent d’une féerie dont l’éphémère éclat trompe un œil peu averti. Quand on contourne le Naïwasha, sa nappe éclatante semble une coulée d’argent où surnagent de grosses topazes, îles verdoyantes et magiques, et l’air s’emplit tout à coup de nuages vivans, gemme fantastique des couleurs que revêtent d’immenses vols d’oiseaux. Une admirable activité colonisatrice y capturait les zèbres qui de leurs courtes, mais rapides foulées parcouraient ivres de liberté ces étendues enchanteresses et voici à travers des arbres baignés de lumière les premières fermes d’élevage. Port Florence, terme de ce parcours merveilleux reçoit le voyageur et, là-bas comme dans nos pays de tourisme, un steamer blanc sous son double panache noir attend de tracer son sillage dans le lac. Par lui tous les points de cette véritable mer intérieure deviennent accessibles et l’homme y marque puissante, irrésistible son empreinte dominatrice. Telle est la voie ferrée de l’Ouganda, indispensable aux opérations militaires anglaises, à la liaison avec le Congo belge, indispensable aussi à la maîtrise du Victoria