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pièce signée du commandant qui autorise l’échange au poste voisin. Pendant toute la campagne, pas une femme ne fut l’objet d’outrages, pas un troupeau ne fut sans indemnité diminué d’une seule tête et par ces lois de la guerre honnête les Belges de leurs ennemis probables se firent des alliés, car les Watuzi épousèrent notre cause contre leurs maîtres de la veille.

Un religieux français, le Père Lecoindre, fut très utile aux chefs européens. Depuis dix-sept années installé dans le Rouanda, il y jouit d’un prestige très agissant. Son ascendant paraîtrait invraisemblable, si les preuves n’en étaient données par le témoignage même de nos officiers. Et pourtant les Watuzi ne sont pas chrétiens, mais leur roi qui réside à Nyansa ne prendrait pas une décision sans consulter le Père Lecoindre. Et par lui voici ce que nous avons su de la vie mystérieuse des très puissans Watuzi. Une cour nombreuse se réunit autour du roi. Il est de bon ton qu’un chef vienne faire sa cour et résider dans la capitale pendant quelques semaines chaque année. Il n’y arrive d’ailleurs pas sans apporter son tribut dont l’accumulation garnit de formidables réserves les greniers du souverain. De leur vie intime on sait que chaque soir, à la tombée du jour, l’hydromel ou la bière indigène, pombe, produit ses ravages. Aux festins succèdent les rixes et le sang coule. Les femmes en sont sans doute la cause, car la fierté d’un Watuzi est d’avoir beaucoup de vaches et tout autant d’épouses ! De ces femmes d’ailleurs jamais Européen ne vit le visage. Le harem installé sur une colline est inabordable pour l’homme blanc, et si l’Européen demande l’hospitalité, une case à part lui sera réservée.

Le concours de cette puissante peuplade nous fut précieux et certes, il fait honneur à ceux qui ont su conquérir sa confiance, puis ses sympathies. Bousculer quelques villages indigènes à coups de canon est une méthode allemande, mais se gagner l’estime et la sympathie demeurait le procédé des Alliés sous les tropiques aussi bien qu’en Europe.

A l’Est et jusqu’au lac Victoria s’étend le Bukoba. Pour l’atteindre, il faut d’abord traverser la Kagera, fleuve dangereux et qui sait se défendre. Ses eaux s’écoulent avec fracas entre deux chaînes montagneuses qui semblent l’étreindre, puis brusquement tombent avec des à-pics presque verticaux. Dès que nos soldats eurent franchi les montagnes, ils aperçurent une