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ROUEN PENDANT LA GUERRE

Une atmosphère bleue baigne les quais. Elle est faite de cette vapeur azurée née des eaux de la Seine et qui colore toute la vallée de ce fleuve. Le crépuscule de février commence. L’air est bleu ; bleue aussi dans le fond la croupe de la colline Sainte-Catherine qui, dressée à l’extrémité des quais, force la Seine à tourner brusquement en coude, et semble ainsi clore la ville, en amont. Une gaze bleue voile de ce côté la longue perspective des îles que les eaux portent comme une flottille à l’ancre. À l’aval, vers l’Ouest, les deux pylônes géans du pont transbordeur qui ressemblent à des réductions de Tour Eiffel, et profilent sur le ciel orangé du couchant les entrelacs de leur dentelle de fer, tendent à soixante mètres au-dessus des eaux leur tablier. Et c’est le portique majestueux des quais sous lequel s’avancent lentement les grands vapeurs venus du Havre.

Dans cette couleur si septentrionale, dans ce bleu mouillé qui estompe les lignes, se dressent au long des berges la mâture innombrable des bateaux de tous pavillons, les grosses cheminées vomissant des fumées noires, et les longs bras articulés et puissans des grues à vapeur. Puis voici les docks de l’armée anglaise. Vous diriez des architectures exotiques, les ruines d’un temple hindou où des moellons en gradins montent en pyramide, tandis que des hommes fauves les escaladent jusqu’au faîte. Mais ces édifices bizarres de douze ou quinze mètres de haut, sont tout simplement l’accumulation des boites de bois blanc dans lesquelles nos alliés reçoivent leurs vivres.

Les grues grincent, la vapeur siffle. Entre les balles de