rangées dans des boxes de magnifiques bêtes aux croupes rebondies, à la peau luisante, à l’œil fier. Ce sont les superbes chevaux de trait, prêts à repartir pour le front où les réclament les caissons de l’artillerie lourde. Il y a deux mois, eux aussi étaient parqués dans le champ d’arrivée, lamentables autant que ceux que nous venons de voir. Ils ont été baignés, soignés, opérés, pansés par des officiers vétérinaires de valeur. Rien n’a été épargné ni dans le traitement, ni dans l’aménagement même des écuries, pour la guérison : l’hôpital vétérinaire, qui peut hospitaliser de 1 500 à 1 800 chevaux, en sauve ainsi 95 pour 100. La valeur des bêtes récupérées, même à si grands frais, justifie largement les dépenses consenties pour leur traitement.
Dans cette grande ville de garnison française qu’est Rouen, où la guerre a amené dans les casernes un si intense mouvement de troupes, où seize hôpitaux ont soigné depuis 1914 le chiffre énorme de 50 000 blessés, auxquels se sont dévouées depuis le commencement les dames des différentes Croix-Rouges, la rue met continuellement en rapport les deux armées alliées.
Le contraste est vif, entre le soldat fauve et le soldat bleu horizon : d’un côté, l’homme de sport qui s’est volontairement offert au service de sa patrie ; de l’autre, le paysan ou l’artisan français en qui s’est réveillé le guerrier incomparable que notre race en tout temps a produit. La supériorité de bien-être dont nous venons de voir que jouit le Tommy, ne lui fait nullement prendre avantage sur le Poilu, bien au contraire. Le héros casqué qui revient de Verdun ou qui rapporte à ses godillots la boue de l’Argonne, ce Français rieur et stoïque, avec ses cinq sous en poche, sa barbe de quinze jours, sa manière de tourner en plaisanterie ses misères, apparaît au soldat anglais comme une sorte de Cyrano ascétique et glorieux, devant lequel on ne se prévaut point de son bain quotidien ou de sa tartine de confiture. M. Lloyd George a eu pour définir le sentiment du soldat britannique un mot exquis de modestie quand il l’a appelé le « frère cadet » du soldat français. Nous connaissons la bravoure de ce cadet-là qui est en train de se couvrir de gloire. Mais nous sommes touchés de l’admiration qu’excite dans la belle armée