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ROUEN PENDANT LA GUERRE.

Il existe à Rouen, soit dans les établissemens loués à la ville, soit sous tentes, dans les camps, treize hôpitaux anglais, pouvant contenir chacun mille cinquante blessés. Les soins de ces blessés sont confiés à des nurses militarisées depuis le début de la guerre, qui reçoivent la solde, la ration, les avantages d’un officier. Ce sont de jeunes femmes graves et douces, que le Tommy, vêtu de son chaud pyjama bleu d’hospitalisé, paraît aimer beaucoup. Rien ne ressemble plus au Poilu blessé que le Tommy blessé. Rien ne ressemble plus à l’infirmière française que la nurse de l’armée britannique : la souffrance qui s’abandonne à de tendres mains maternelles, la femme qui a pitié et qui se dévoue sont identiques chez deux races dignes l’une de l’autre. Une matron (infirmière major) m’a montré, avec un fin sourire de vieille religieuse catholique, les vestiges de l’Arbre de Noël qu’à Christmas elle avait fait à ses blessés. Quel est l’hôpital français qui, en décembre dernier, n’a pas eu le sien, garni avec le même soin pieux, par des mains aussi douces ?

Mais n’oublions pas que nous sommes toujours ici chez des Anglais. C’est pourquoi, dans la salle d’opération, malgré la saison glaciale, je vois un frais bouquet de fleurs de Nice, et pourquoi, à la lingerie, on me montre dans une « ménagère » de toile blanche la trousse de voyage que chaque homme guéri emporte au front, sur son paquetage. La trousse comprend : un peigne, une brosse à dents, un rasoir de première qualité, un blaireau et un miroir.


Voici dans la même plaine, mais sur le territoire d’une industrielle commune avoisinante, un champ immense où est parquée une troupe de chevaux hirsutes, la peau marbrée de gale, tendue sur une ossature squelettique. Les cerceaux de leurs côtes apparaissent. Parfois des blessures sanglantes entrouvrent les chairs des flancs ou des poitrails, et l’ensemble des animaux donne un aspect lamentable d’épuisement, de souffrance. Nous sommes à l’hôpital vétérinaire. Ces pauvres bêtes que nous voyons ont fait la guerre, elles sont évacuées du front pour blessure ou maladie.

Examinons maintenant ces longs baraquemens où sont