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expression dans une pesma intitulée : le Réveil de la Vila, et qui ressemble à un dialogue entre l’âme individuelle, déjà réveillée, et l’âme collective, qui parle par la poésie populaire.


Sur le rocher de Sara, depuis cinq cents années, drapée de longs voiles de deuil, la Vila Ravijojla pleurait.

Depuis la mort de son cher pobratime, depuis la mort du héros Marko, elle ne cessait de verser des larmes, et un cercle d’angoisse ceignait sa poitrine. Durant cinq cents années comptées, elle est constamment restée ainsi, la pensée repliée sur la pensée.

Mais voici que, pareil au bruit, de la mer, un long murmure a couru dans les roches, et une voix s’est élevée clamant :

— Regardez, regardez, ô Vilas mes sœurs ! Regardez les Serbes vaillans ! Fusils, canons, chevaux de fer, guerriers, gagnent bataille après bataille. Les cadavres turcs ont comblé les tranchées, les Turcs vivans ont fui sans tourner la tête…

La Vila Ravijojla a levé la tête. Les vallées étaient pleines d’une grande foule armée. Et cette foule en armes chantait :

— Grâces en soient rendues à Dieu, seul vrai Dieu ! Nous portons la paix et la liberté dans les plis de notre glorieux drapeau. Aux exilés nous rendrons une patrie et nous saurons réchauffer les cœurs refroidis des esclaves. Nous reprendrons tous les monastères, les monastères de nos anciens patriarches, et les villes où nos pères furent heureux. Nous boirons les eaux de la Bistritcha. Un soir, nous nous trouverons dans Prizrend, Prizrend où fut jadis le trône de nos rois ! Et après avoir prié Dieu, au grand matin, nous monterons sur les murs de Prizrend. Que partout les canons tonnent ! Tout ce que le Serbe veut, il l’obtient, car le Serbe est un héros depuis des siècles.

… En entendant ces choses, la Vila Ravijojla s’est dressée. Elle a rejeté ses longs voiles de deuil, et sa bouche a ri d’un rire éclatant :

— La joie vient de réveiller mon cœur. Il est brisé le cercle de l’angoisse, le cercle triste qui ceignait ma poitrine.


L’entrée de la Serbie dans la guerre mondiale, sous le coup de foudre de la guerre de 1914, marque la dernière phase de son développement national, phase capitale, à la fois tragique et sublime et qui sera sans doute la plus féconde de toutes pour l’avenir, en dépit de tous les désastres qu’elle causa à cette nation héroïque et fidèle. Premier prétexte et premier enjeu de la grande guerre, la Serbie partage avec la Belgique l’honneur