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les belligérans, c’est la France qui le plus nettement aperçoit cette route, et comprend le plus clairement ce que cette guerre signifie, et toutes les vastes conséquences de cette décision suprême, non seulement pour elle, mais pour tous. Elle se bat, non pas pour des territoires, mais des principes. « On peut déclarer que l’Allemagne ne peut être battue. Les Français savent dans leur âme qu’elle peut l’être, qu’elle l’est déjà. Dans cette décision de l’histoire du monde, la plus grave de toutes, » la France révélant son âme éclaire les voies futures : « elle a subi l’épreuve de la flamme : elle n’est pas finie, comme le croient si pitoyablement mes amis germano-américains : » elle ressuscite, plus forte que jamais, et par elle « c’est l’esprit latin qui, de nouveau, triomphe, — la tradition la plus saine, la plus douce, la plus noble qui ait jamais été enseignée au monde pour y accomplir le mystère de la destinée. »

Pareille compréhension des profondeurs de l’âme française et de la tradition latine n’étonne pas chez un Ferrero qui charrie ces traditions dans son sang. Mais que cet Américain de pure descendance anglo-saxonne se félicite de la « reprise par les races latines de la direction de la civilisation, » voilà qui surprendrait, si on ne se rappelait les origines de cette Amérique dans notre XVIIIe siècle, et qu’à cette terre toutes les races aboutissent comme à un réservoir commun d’avenir et y déposent des parcelles de leur idéal. « Nous sommes moins Anglais que Français par notre esprit, notre idéal de culture et de vie, » dit Herrick ; et la thèse peut se soutenir. Et puis les angoisses patriotiques de la dernière partie : — « L’Amérique : Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? » — éclairent le problème. L’Amérique est au partage des chemins ; et il ne semble pas que ses guides voient bien clair. Toutes ces phrases du Président sur la neutralité, sa complaisante constatation que « deux mille lieues de mer froide sont non conductrices du fluide de la guerre, » humilient d’autant plus profondément Herrick qu’il voit chaque jour plus nettement que le Président a « exactement interprété la volonté nationale. Plus on va vers l’Ouest, plus le cœur de l’Amérique devient froid, plus la vision de l’Amérique devient obtuse. » Elle se désintéresse de la guerre : elle n’en voit pas la menace personnelle :


Le péril allemand ne réside pas dans une invasion allemande,