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Au demeurant, ce prestige, bon encore pour maintenir la résignation allemande, n’est plus capable de soutenir la cote allemande, parmi les nations. Les circonstances de sauvagerie sans frein et sans excuse dont s’est entourée la retraite des Allemands sur la Somme et sur l’Oise ont achevé de déshonorer l’Allemagne. Nous en avons déjà brièvement esquissé le lugubre tableau, mais on n’en a pas d’un seul coup épuisé toute l’horreur ni retenu toute la leçon : pour ne pas encourir le reproche de trop en noircir la couleur, laissons un instant les Huns parler eux-mêmes de leur ouvrage. « De florissans villages, au milieu de champs cultivés et de potagers, ne sont plus aujourd’hui que ruines et cendres, écrit M. E. Kalkschmidt dans la Gazette de Francfort du 20 mars. Les grands arbres des routes françaises ont été ou bien abattus sur le chemin, ou bien sciés en partie pour pouvoir être placés au dernier moment en travers de la route. Les croisemens de routes, les ponts, les canaux, les écluses ont été minés, et les chambres de mine chargées. L’ennemi ne trouve pas un rouleau de fil de fer barbelé, pas de fourrage, pas de paille, pas de voie de chemin de fer, aucune bêche, aucune pioche, aucune cave, aucun puits, et, par-dessus tout, ni canons, ni fusils, ni cartouches. Les champs sur les bords des chemins ont été labourés ; l’artillerie ne pourra pas passer à côté de la route détruite et devra péniblement construire de nouveaux chemins. » Dans le Berliner Tageblatt du même jour, M. George Querl surenchérit : « Tout a été détruit dans la zone évacuée : plus un arbre, pas même un arbuste. Il n’y a plus ni maisons ni cabanes; nous avons ainsi répondu au refus d’accepter notre offre de paix. Que ceux qui voulaient continuer la guerre apprennent aujourd’hui ce qu’est la guerre, dans ce qu’elle a de plus terrible. Un désert doit être créé entre l’ennemi et nous. » Et M. Hermann Katsch, dans la Gazette de l’Allemagne du Nord du 24 : « Le coup d’œil offert par la zone évacuée est inoubliable. Tout a été emporté: provisions de bois, planches, poutres, fenêtres, portes, rails, vieux fer, tubes métalliques, fils téléphoniques ; ce qui ne pouvait être utilisé a été brûlé. Partout des tourbillons de fumée épaisse, des coups sourds, des nuages où disparaissent les bâtimens. »

Encore prétend-on couvrir ce délire de prétextes tirés d’une utilité militaire. La dévastation, soit; qu’il n’y ait plus trace de ponts, ni de chemins de fer, ni de routes ; que tout soit effacé sur la terre rasée et nue ; mais le pillage et, pour appeler la chose par son nom, le vol, le vol qualifié chez l’hôte, la maison vidée de la cave au grenier, le butin partagé selon le grade, aux officiers supérieurs