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le rez-de-chaussée, aux subalternes les étages, le vol à main basse de tout ce qui a une valeur, de tout ce qui peut être emporté, meubles, linge, vêtemens, fourrures, objets d’art et jusqu’aux portraits de famille; quelle utilité militaire; et comment cette opération, qui d’ordinaire est nocturne et se fait non par régiment, mais par bande, rentre-t-elle dans le plan « génial » de Hindenburg ? L’Allemand, qui explique tout, n’a pas manqué d’expliquer cela : « Apprenez ce qu’est la guerre, hurle-t-il, vous qui n’avez pas voulu nous accorder la paix ! » Le mot « nous accorder la paix » a été employé officiellement, et il montre à merveille, sans qu’on l’ait voulu, alors même qu’on s’en défendait, à quel point l’Allemagne a besoin de la paix; il découvre également le véritable objet de la manœuvre allemande, toute de barbarie systématique, de férocité délibérée, qui se proposait la paix par la terreur. Mais pour quels enfans sans âme, sans cœur et sans nerfs, et qui n’auraient rien de plus cher que la vie, l’Allemand prend-il donc les hommes ? Il est tout étonné de n’avoir pas obtenu l’effet d’effroi, de désespoir et d’abattement qu’il s’était promis. « Les Français semblent n’avoir pas encore reconnu la situation créée par notre retraite ; nous nous attendions à des cris de rage à propos de nos destructions effectuées dans la zone évacuée, et nous sommes surpris de la réserve des communiqués. Le commandement et le gouvernement semblent s’être entendus à ce sujet, et la presse passe vite avec habileté à des manifestations de joie, qui cachent au peuple la sévère vérité : si l’on faisait connaître la désolation infinie qu’offre aujourd’hui la zone reconquise, la grande masse comprendrait ce que c’est que reprendre le sol par la force. »

Eh bien! on nous l’a fait connaître, et demain il ne sera pas un Français, jusque dans le plus lointain hameau, qui ne l’ait appris par l’affichage des discours et de l’ordre du jour du Sénat ; il n’y aura pas un foyer de France où cette « désolation » ne soit ressentie, et il n’y en aura pas un où, par la saine et sainte pensée qui restera, la pensée du sol reconquis, repris par la force, elle ne se change en une source de patience, d’énergie et de volonté. De joie aussi, comme dit cet Allemand, et de cette joie si française, la joie dans les pleurs, car chaque peuple a la sienne, et les Allemands, en même temps que nous, ont eu la leur. Ce n’est pas, comme on s’ingénie à les en convaincre, que, si obtus qu’il pût être, un seul d’entre eux ait eu l’idée absurde que, par la grâce de Hindenburg, « en reculant, ils allaient de l’avant ! » Non, ce n’est pas pour ce piètre motif