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nous considérons comme un devoir, pour l’humanité, de reconnaître le droit à l’existence, non seulement aux personnes individuelles, mais encore aux nations douées d’une personnalité véritable.

C’est la différence de point de vue existant, à cet égard, entre l’Allemagne et les Alliés qui donne sa signification à la guerre actuelle. Et cette signification vient encore d’être mise en évidence par l’entrée en scène des Etats-Unis au côté des Alliés. Cette nation avait fait la guerre, en 1860, pour résoudre expérimentalement, à la face du monde, selon la parole d’Abraham Lincoln, la question de savoir « si une nation libre, si le gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple, est susceptible d’exister et de durer. » Aujourd’hui, les Etats-Unis, par la bouche du Président Wilson, déclarent : « Nous sommes fiers d’offrir notre sang, notre vie, tout ce que nous possédons, pour la défense des principes dont est née notre patrie. »

Cette guerre, dans la pensée de ceux qui l’ont déchaînée, n’est pas, tout d’abord, comme on le dit parfois, une guerre économique. L’auteur du livre fameux : « J’accuse, » écrivain allemand d’une remarquable compétence, en donne la frappante démonstration. La conquête économique du monde par l’Allemagne, en un temps dont le terme se rapprochait avec une rapidité effrayante, n’était que trop certaine, si la paix eût duré. Mais cette victoire ne lui suffisait pas. Peuple-maître, ein Herrenvolk, ainsi qu’elle aime à se désigner elle-même, l’Allemagne entendait, au nom de sa culture, qu’elle déclarait supérieure à celle de tous les autres peuples, imposer sa domination à l’univers, et l’organiser à sa façon. Elle affectait, d’ailleurs, de n’avoir que du mépris pour ceux qu’elle se disait appelée à gouverner. Et elle se plaisait à s’en faire haïr, car elle définissait la haine une peur lâche et honteuse. A l’heure qu’elle s’était marquée pour frapper le coup décisif, elle jeta le gant aux nations civilisées.

Celles-ci le ramassèrent. Elles se refusèrent à reconnaître comme supérieurement cultivée une nation qui prétendait enlever aux autres l’attribut le plus précieux de l’humanité : le droit d’être soi-même et de développer librement, en respectant le droit des autres, les qualités propres dont on est doué. Et la suite ne montra que trop brutalement de quel côté était la vraie civilisation.